lundi 25 mai 2020

Souviens-toi de PATTI ROCKS


Vu un mini-programme de deux court-métrages de Joris Ivens dont je dois bien avouer ici ne pas avoir vu grand chose (LE VENT peut-être, mais dans mes souvenirs, ça  a fait Pfuit...). A VALPARAISO d'abord (1963) et ROTTERDAM-EUROPOORT qui date de 1966. 


Deux façons non pas de visiter ni surplomber un lieu (ni Petit Fûté, ni Arthus-Bertrand), mais plutôt de voir, de découvrir, de chercher à s'imprégner de quelque chose sous des airs de flânerie. C'est surtout vrai pour le premier, qui nous propose une vue sur le mythique port chilien qui laisse déborder l'imagination. Car on peut se mettre à rêver lorsqu'on arpente une ville pareille (la mer, le vent, la cordillère des Andes cachée juste derrière, ses rues en pentes, ses cabines téléphériques en bois qui n'arrêtent pas d'usiner par des pentes à 40 %, cette vie qui monte et qui descend sans cesse dans les fracas des gréements, des bourrasques, du cri des mouettes et des phoques qui traînent près des bateaux de pêche).

Ivens nous offre quelques séquences surréalistes, dont on ne sait trop s'il les a inventées (ces dames qui sortent toutes endimanchées et promènent en laisse leurs pingouins), et un texte lu par Roger Pigaud que l'ami Chris Marker lui avait concocté. Sans savoir à quoi ressemble aujourd'hui Valparaiso, cette ville du bout du monde qui a fait rêvé et chanté bien des artistes, la nostalgie que l'on ressent devant ses images, pas seulement du à la façon de s'habiller des gens, à leur mobilier, etc... était déjà présente dans les murs de la ville. Valparaiso est une ville nostalgique, dont les pierres cherchent à sauvegarder sa mémoire et celle de ses habitants. Superbe moment, par exemple, lorsque Ivens filme un balcon d'immeuble d'angle conçu un parapet de proue de navire: les murs veulent se transformer en bateaux, la ville veut prendre le large.


Beaucoup moins convaincant, ROTTERDAM-EUROPOORT se promène sur les quais du plus grand port de fret d'alors en filmant quelques navires dans la brume, la vie alors commune de cette ville de Hollande tournée autant vers la mer que vers la modernité (on y voit quelques bandes de jeunes se ruer dans un cinéma pour aller voir QUATRE GARCONS DANS LE VENT), en s'appuyant vaille que vaille et d'une façon un peu molle, et artificielle, sur la figure du marin volant. Ivens y fait jouer quelques amis comédiens quelques figures aléatoires et et guère indispensables; on n'aura pas vu grand chose de Rotterdam, si ce n'est que du bien commun, et cela ne nous aura pas emmené bien loin (même le texte en voix-off, lu par Montand cette fois, et toujours de Marker, parait n'aller nulle part).

Au rayon banzaï ! par contre, on est tombé sur du très bon !

Vu DEAD OR ALIVE 1: HANZASHAI de ce grand cinglé de Takashi Miike et... c'est fou comme il tape fort, ce type ! L'homme aux plus de 100 films (dans tous les genres: sabre, gangsters, porno, horreur, sf, tout...) réalisa cette chose en 1999, à peu près l'époque ou Takeshi Kitano enchantait les tapis de festivals du monde entier avec ses films de yakuzas affables ou de flics dérangés. Miike sait tout faire, tout filmer, mais semble surtout s'éclater à faire exploser tous les codes des genres et de mise-en-scène. C'est un cinéaste véritablement punk, qui fait du désordre son miel et l'explosion la quintessence de son style (et pour tout dire: son but ultime).

Ce polar (le duel à distance puis la lutte à mort entre un malfrat chinois stylé et un flic tête brûlé sur fond de guerre des gangs) ne semble pas constitué comme les autres. Miike n'en a pas grand chose à faire de voir s'écouler les scènes les unes après les autres en prévision de quelques coups d'éclats et en cela, il pourrait en remontrer à Tarantino, un de ses grands fans, qui n'opère plus, lui, que dans le but d'installer ses grandes scènes.Chaque séquence est prétexte à coup d'éclat instantané. Lorsque ce n'est pas d'un trait d'hyper-violence dont il a le secret qu'il "imprime" une scène (un meurtre scatologique par exemple, rien que ça, ou l'esquisse d'une scène de zoophilie live), c'est par le saugrenu d'une réplique, le décalé d'un personnage, le regard étrange d'un protagoniste, la réaction anormale d'un figurant, ou l'exagération toujours en marche du scénario (toujours plus !) Dans le cinéma de Miike, tout est prétexte à s'affoler et, en premier lieu, à affoler le regard. Et la morale.

Cet homme a signé AUDITION ou ICHII THE KILLER tout de même, et ce qui pourrait passer pour de la sauvagerie complaisante est bien autre chose. Son cinéma est tellement au-delà des normes admises en terme de violence qu'il surpasse tous ces contemporains, même les plus sadiques, en terme de cruauté et d'imagination perverse. Contrairement à pas mal de réalisateurs de slashers aujourd'hui qui cherchent le point limite de la résistance de leur spectateur, Miike prend son pied à toujours dépasser les limites de l'imagination du public. et y arrive.

Quand la scène finale survient, feu d'artifice qui vous éclate au fond de la gorge en un bel éclat de rire, on est sûr que ça ne pourra pas aller plus loin (le mot FIN est trompeur, DEAD OR ALIVE a deux suites, sur lesquels je vais me précipiter dans pas longtemps). Preuve, encore une fois, que Miike, même quand il est impossible de continuer, poursuit sa course folle. Son cinéma c'est ça: une bille de flipper en circuit fermé qui fait tilter la machine de plus en plus vite.

Même celles et ceux qui craindraient, à juste titre, ses excès de violence et de cruauté, pourront quand même se forcer à regarder les cinq premières minutes, absolument affolantes, montage épileptique de six séquences montées en parallèle à coup de 120 plans/minute. Un truc à faire passer Tsui Hark pour un moine zen. Libre à chacun de croire que Takashi Miike est dingue, c'est surtout un cinéaste génial.


Après ça, vu un tout petit film indépendant américain, fauché et absolument charmant, né sous le signe du cinéma de Rohmer et de Hal Hartley. FUNNY HA HA d'Andrew Bujalski (2002) nous raconte le quotidien de Marnie, jeune femme baladée de petit boulot en pauvre job et qui surtout, avec les garçons, n'y arrive pas du tout.

C'est drôle de se dire qu'on peut enfin voir dans un film américain des gens normaux, ni beaux, ni moches, dont les mornes existences et les looks anodins vous donnent un sacré coup de frais, à l'heure où on nous assomme de perfection bimbo et d'abonnement en salle de muscu. Les anti-héros de FUNNY HA HA sont  un peu tristes, un peu veules, et passent leur temps à s'excuser pour un rien (pour une indélicatesse qui n'en est pas une, un léger retard, une remarque déplacée sur un vêtement, pour la moindre pécadille). Dans cet environnement qui se voudrait parfaitement safe, les coups de coeur et les coups de foudre tombent aussi vite que les déceptions sentimentales, les malentendus gênants ou, le plus souvent, l'absence totale de répondant de ses fichus prétendants, plus ou moins bien déclarés.

Dans le rôle de Marnie, Kate Dollenmayer est parfaite: grande bringue dégingandée aux cheveux raides et aux traits boudeurs, presque bouffis, ses airs à la fois obstinés et un peu ailleurs finissent par laisser passer la beauté de son personnage. Au détour d'un béguin pour un beau garçon lors d'une fête arrosée, vite douché par le bellâtre pataud ("je ne sais comment faire dans ce genre de cas",esquisse-t-il après un premier baiser), ce qu'on voit s'allumer dans les yeux de Marnie est ce genre de détail auquel on s'attache, qu'on voudrait revoir, bref: à qui on souhaite de tomber amoureux (dont on tombe amoureux ?)

Du reste, cette petite production qui s'arrête aussi vite qu'elle est venue (sur une discussion qui sonne comme un marivaudage de plus, sans épaisseur, et nous descend là sans crier gare), aura eu ce mérite de me rappeler un cinéaste de la fin des années 80, aujourd'hui complètement oublié, et dont les films m'avaient alors beaucoup plu: David Burton Morris. PATTI ROCKS, quelqu'un pour se rappeler ? 



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