samedi 30 mai 2020

Marre de combattre nos mauvais côtés !


Ma que calor. Une visite au Groenland s'impose d'urgence, avec ce film absolument charmant, et qui a su rencontrer son public en salle il y a deux ans, UNE ANNEE POLAIRE de Samuel Collardey (2018, donc). Emmenez-y vos gosses, vraiment, ça ne vaut certainement pas NANOUK L'ESQUIMAU mais le charme immédiat de ce film est qu'il emprunte justement des chemins assez parallèles au chef-d'oeuvre de Flaherty. Si NANOUK était en réalité une fiction filmée en milieu "naturel" maquillée en documentaire pris sur le vif, UNE ANNEE POLAIRE et la recension de l'expérience vécue par Anders Hvidegaard, héros de cette histoire, jeune instituteur téméraire qui réclame un poste dans un village inuit de 80 âmes, isolement total, froids extrèmes et population rétive à toute forme d'intrusion dans leurs manière de vivre. Le travail de Collardey a été de faire "rejouer" cette année charnière de son existence avec les habitants de ce village.

Ceux qui connaissent le roman de Jensen IMAQA, qui raconte à peu près la même histoire, savent que les Inuits sont méfiants vis a vis de toute autorité, et assez farceurs. Le film est intéressant parce qu'il nous montre des rapports colons/colonisés sur le mode de l'apprentissage (que le film oppose très justement à l'instruction). Anders est tenté par le Groenland pour apprendre la langue Inuit, dit-il, enthousiaste, à la fonctionnaire qui le recrute (et se trouve bien contente d'avoir trouvé un candidat pour travailler dans ce trou paumé). "Pas question !, lui répond-elle en substance, vous irez là-bas pour leur apprendre le Danois et tout ce qui pourra les "ouvrir" à d'autres mondes que le leur."

Sur place, après avoir vainement tenté de les passionner pour des préceptes affligeants (Luther et la traduction de la Bible par exemple), Anders apprendra finalement l'Inuit, à conduire un traîneau, harnacher ses chiens et inculquer en échange des choses utiles (lire une carte topographique). Ce qu'on retiendra de cette histoire d'échange et de partage, c'est que l'"enseignement" dispensé par une nation colonisatrice a pour fonction, encore et toujours, d'annihiler la culture "adverse". Quand Anders, dont les préjugés arrogants s'effritent les uns après les autres, comprend que les arracher à ce village pour plusieurs années de collège, ou plus, dans une grande ville, les empêchera d'apprendre le savoir des anciens, car c'est à cet âge qu'ils peuvent le mieux apprendre des choses comme: chasser le phoque, le saumon, construire un igloo, traquer un ours, survivre à une tempête, à ce moment un déclic se produit.

On souhaite longue vie à ce peuple, comme à tant d'autres, tout en n'étant pas dupe de l'importance réelle de ce film très pédagogique, mais assez peu démonstratif dans le ton et la forme: c'est là son élégance. Pour grands et petits, donc...

Seconde virée, en ce qui me concerne, dans le cinéma d'un des piliers du cinéma "expérimental" américain, Jonas Mekas. J'ai déjà pu voir (seulement) THE SIDES OF PARADISE, court-métrage très célèbre et montage de rushes pris chez les Bouvier dans leur villa paradisiaque de la Côte Est (avec Warhol, Lennon, une jolie clique...). Aussi ce GUNS OF THE TREES, premier film réalisé par Mekas en 1961 m'a laissé sur le bas-côté aussi sûrement qu'un mauvais Godard. C'était son premier film, et il faut croire qu'il n'avait pas encore trouvé son "it", pour parler beat, et justement, les éléments les plus notables en sont peut-être les poèmes désarticulés d'Allen Ginsberg lus en voix-off par le poète en personne. Dont on a souvent du mal, quand même, à définir le rapport qu'ils entretiennent avec ce qu'on voit, mais cela fait aussi partie du charme, naturellement.

GUNS OF THE TREES nous raconte les atermoiements de deux couples, de la génération de Mekas, entre manifestations politiques, scènes du quotidien, création artistique, jeux d'enfants et câlins sous les draps. Les années 60, qu'elles soient américaines, japonaises, tchèques ou françaises, ont cela de merveilleuses qu'elles font toujours envie à celles et ceux qui n'y étaient pas. Il est quand même question ici d'aspiration au suicide, à l'auto-destruction, à la tentation du nihilisme. "A partir d'un moment, récite Ginsberg, tout le monde laisse tomber".

On continuera d'insister sur ce cinéaste mythique, malgré cette petite déception, en étant sûr de trouver une forme plus "moderne", d'avant-garde, à sa manière de filmer (sur Mubi, il y en a plein...)

Un sur lequel on va continuer de s'acharner à coups sûrs, c'est ce diable de Werner Herzog dont je viens de découvrir LES NAINS AUSSI ONT COMMENCE PETITS, second long-métrage de 1970 de notre Bavarois frappé préféré. Faut-il être barge, quand même, merveilleusement barge, pour imaginer un film où des nains farceurs enfermés dans un centre spécialisé se rebellent contre leur Directeur (un nain), emmerdent des aveugles (des nains, aussi), et se livrent à des blagues douteuses en faisant retentir leurs petits rires d'enfants méchants (avec des "ach ja, ja,ja" en sus qui fournissent un charme supplémentaire). Moralité, les nains sont des cons comme les autres (leurs blagues sont vraiment nulles), les nains sont des salauds comme les autres (leurs blagues sont vraiment très très méchantes), les nains sont comme vous et moi (quand un personnage étranger à l'histoire déboule, c'est une naine).

Et comme Herzog, pour des raisons de lui seul connues, a choisi de planter son conte absurde et ses allemand(e)s de petite taille en pleine sierra espagnole, on en conclura également que les espagnols sont des nains allemands, comme les autres.

"Marre de combattre nos mauvais côtés !", rugit l'un d'eux... Au summum du chambard organisé par ces diablotins rétifs au bon goût et aux choses bien rangées (une camionnette au volant coincé qui tourne toute seule dans la cour, des volailles balancées par-dessus les murs, des animaux empoisonnés, des vaisselles cassées, des batailles de nourriture), Herzog filme en douce le manège des poules qui se bouffent entre elles, picorent des rats crevés, harcèlent les plus faibles.

Herzog s'en défiera toujours (le bonhomme adore le contre-pied et se délecte de déjouer les critiques en niant les sous-entendus politiques et il a raison: il faut laisser ses films parler d'eux-mêmes), mais il n'y a pas à aller bien loin pour savourer ce que sous-tendent ces images, légères et atroces à la fois, comiques et malvenues, l'ambivalence faite cinéma dans l'Allemagne post-nazie de ces années de "reconstruction". Je ne suis pas loin de penser que, plus que Fassbinder, Herzog était le grand radical de ces années-là.

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