mercredi 27 mai 2020

Vivre sans tendresse, on ne le pourrait pas.



Vu LE JOLI MAI de Chris Marker et Pierre Lhomme, filmé en mai 1962 dans Paris intra-muros avec comme intention de tendre le micro, et la caméra, aux parisiens de passage qu'ils soient étudiants, courtiers en bourse, pieds-noir algériens, simples passants, commerçants ou amoureux, avec comme interviewer qui joue parfois la mouche du coche, Chris Marker lui-même qui tente, gentiment, de pousser les questions toujours un peu plus loin, de chercher toujours à mieux creuser les réponses qu'on lui donne.

Des réponses parfois approximatives, évasives ou le plus souvent maladroites, de ces anonymes surpris qu'on cherche à les faire sortir de leurs zones de confort (car non, ce n'est pas les actualités françaises venues faire un micro-trottoir, les questions posées sont moins "bateaux" que ça). Souvent, ils hésitent à vouloir en sortir, parfois ne peuvent pas, par manque de moyens, de répondant, de véritable questionnement sur eux-mêmes, sur Paris qui les entoure ou le monde dans lequel ils vivent (un manque de savoir qui trahit le peu de culture de beaucoup, simplement occupés par leurs "petites vies"). On pense souvent au CHRONIQUE D'UN ETE de Jean Rouch, tourné deux ans auparavant, dans lequel le cinéaste-ethnologue se contentait de poser cette question: "Etes-vous heureux ?..."

Les réponses les plus perspicaces, ou les plus profondes, ou les plus belles, ne viennent pas toujours des représentants du Paris "d'en haut", aux vues tout juste moins étroites que celles quelques petits commerçants ou badauds attroupés autour d'un procès à scandale. Ce fut un printemps marqué par les basses températures, les attentats à la bombe de l'OAS, les manifestations anti-fascistes sévèrement réprimées, du procès de généraux putschistes, de la fin de l'Algérie française. Un étudiant africain parle de la vieille mentalité coloniale des Français, un jeune Algérien diplômé raconte comment il a découvert le racisme banal dans le monde ouvrier., une mère de famille bardée de ses huit gosses pleure de joie à l'idée de quitter son taudis de Barbès pour un appartement "propre" avec trois chambres, enfin débloqué par la Mairie.

On y entend les cheminots, les usagers parler d'une grève à la SNCF (ce sont les mêmes que de nos jours,  les questions "dirigées" de BFM en moins), on en reste comme deux ronds de flan devant cette discussion à bâtons rompus entre Marker et deux "ingénieurs-conseils" qui parlent, déjà, de la fin du travail, de l'arrivée de l'automatisation des tâches, de la centralisation de l'information, de l'inutilité de la plupart des emplois salariées, de la possibilité qu'a la planète depuis longtemps de subvenir aux besoins alimentaires de tout le monde, et du monde occidental à passer aux semaines à 25 ou 30 heures.

Alors pourquoi ne pas le faire, demande alors Marker, en Candide sceptique?... Parce que, répondent nos deux utopistes clairvoyants, si économiquement, et politiquement, rien ne bloque, la considération qu'aurait alors les hommes de leur utilité les ramèneraient à rien. Ils perdraient leur "prestige".

LE JOLI MAI est une plongée vivifiante dans le siècle passé qui parait déjà bien loin, mais dont on ne s'est pas beaucoup démarqué, mine de rien. Le film a beau faire plus de 2h15, lorsqu'il s'arrête, comme dans les documentaires-fleuve de Wiseman, on en redemanderait bien encore.

Vu LA TENDRESSE de Marion Hânsel qui date de 2013, l'avant-dernier film en date de cette cinéaste attachante qui, faute de jamais avoir été une foudre de guerre, ni une grande pourvoyeuse de formes nouvelles (et là n'a jamais été son envie), nous fournit toujours de ces histoires simples, composées de personnages qui nous ressemblent. Comme chez François Dupeyron, il y a toujours quelques moments où cette petite musique douce, juste au moment où menace l'envie d'éteindre ou de s'assoupir un peu, vous prend par surprise et communique de belles émotions.

Maryline Canto et Olivier Gourmet, deux excellents comédiens, ne sont vraiment pas pour rien dans la réussite du film, surtout elle (ses sourires en coin, ses ébauches de rire contenu et la douce frivolité maladroite qu'elle insuffle à son personnage), et s'il faut ici la preuve que la mise-en-scène y est quand même pour quelque chose, Marion Hänsel sait diriger ses deux orfèvres à merveilles.

Film ramassé en 48 heures, sur un prétexte des plus simples (un couple séparé depuis 15 ans partent chercher leur fils victime d'un accident de ski pour le ramener en Belgique), c'est au détour d'une scène pince-coeur, réminiscence des premiers coups de foudre (Sergi Lopez qui dépose un mot sous les essuie-glaces de Maryline Canto), qu'on se dit que ce "cinéma de chambre" aura toujours une petite supériorité sur d'autres en certains domaines.

On peut vivre sans richesse
Presque sans le sou
Des seigneurs et des princesses
Y'en a plus beaucoup
Mais vivre sans tendresse
On ne le pourrait pas
Non, non, non, non
On ne le pourrait pas

(chanson de Roux & Giraud, chantée par Bourvil au générique de fin)

Comme quoi le bonheur, c'est pas toujours aussi compliqué que ça.

Le nanar du soir, bonsoir, nous vient encore une fois de plateforme de streaming Shadowz, qui ne cesse de nous partager de drôles de films qui participent à ma bonne humeur:

Vu LA CHIESA (Sanctuaire en francese), de Michele Soavi, disciple en sous-main de Dario Argento qui a produit et co-écrit le film, un film d'horreur de 1989 où les rituels sataniques s'accomplissent dans une église gothique d'Allemagne, des siècles après l'ensevelissement sous ses fondations de villageois suspectés d'avoir fait allégeance au diable, et trucidés par ces plaisantins de chevaliers teutons.

Si Soavi n'a pas inventé la poudre, on ne lui en voudra pas vraiment, tant le scénario est truffé d'approximations fatales et d'une interprétation, comme toujours dans ce genre de production, pour le moins internationale et à côté de la plaque. Tout juste se réjouira-t-on de reconnaître au passage Feodor Chaliapin Jr, vieille tronche assez remarquable qui incarnait déjà un des vieux curés tarés du NOM DE LA ROSE.

C'est aussi bête sur le principe qu'un film vu récemment, DEMONS de Lamberto Bava, où il arrivait un peu le même genre de désastre à des spectateurs enfermés dans une salle de cinéma, et trucidés par des diablotins vicieux remontant des enfers.

On y voit donc un bouc s'accoupler avec une jeune femme sur un autel décoré de bougies, des chanoines possédés, et de pauvres touristes trucidés de vile manière. Michele Soavi a son fan-club (c'est lui qui a réalisé DELLAMORTE DELAMORE, prototype du film-culte surfait), et ce n'est pas après avoir vu ça qu'on prendra sa carte de membre.

Arrivederci !

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