vendredi 22 mai 2020

Chat noir sur fond noir.


Vu un film rare de Tengiz Abuladze, LE REPENTIR, réalisé en 1984 mais qui eut quelques déboires avec la censure soviétique et ne revit la lumière du jour qu'en 1987, au bénéfice de Cannes qui lui octroya cette année-là son Grand Prix. Il s'agit d'un des derniers témoignages de l'ère pré-perestroïka où des cinéastes comme lui, sans aller jusqu'à risquer leur peau, manquaient à coup sûr de retrouver leurs oeuvres remisées dans les tiroirs.

Or, la censure a manqué tous ses coups de ciseaux sur ce brûlot libertaire et irrévérencieux en diable, ou peut-être que le film s'est faufilé sous le manteau jusqu'à nous, ou peut-être que les zélateurs de l'état soviétique en avaient tout simplement marre d'interdire à tour de bras et ne savaient plus où donner de la tête (après trois ans de placard, quand même). Parce que LE REPENTIR ne prend pas mille périphériques pour nous parler de dictature et de déliquescence politique.

Soit une petite ville géorgienne qui vient d'enterrer son mai(t)re sous les pleurs orchestrées de la troïka et de sa famille. Son fils (joué par le même comédien, le génial Avtandil Makharadze), notable bien installé et au destin tout tracé, voit la dépouille de son père déterrée et déposée dans son jardin, chaque matin, jusqu'à ce que la responsable soit emprisonnée. Le procès qui va suivre, prétexte à de nombreux flash-backs est la chronique de l'installation d'une dictature, et le portrait d'un tyran.

Les Géorgiens sont un peu les méditerranéens de l'ex-bloc soviétique. Abouladze partage avec son compatriote (exilé Français) Otar Iosselliani une même propension à la légèreté et à la caricature à fins traits. Varlam, son despote bonhomme, est un sorte de mixture souriante d'Hitler pour la moustache, de Mussolini pour la chemise noire et les bretelles en cuir, de Béria pour l'embonpoint souriant et le regard qui pétille. Hommage à l'Italie sans doute, car on pense souvent aux guignols des films de Risi ou de Monicelli, Varlam ressemble surtout à un Alberto Sordi qui aurait trop mangé de boulghour. Et puis il se prend pour Caruso, et entonne à tout bout de champ des airs d'opéra. A noter que sa garde rapprochée est harnachée comme une armée des croisades, cote de maille comprise.

Le film est long et on voudrait bien le raccourcir un peu aujourd'hui: dans ses moments les plus faibles, il file des métaphores un peu lourdes (un juge d'opérette, littéralement fringué en habit de gala, qui demande une pause et emmène la justice, sa robe blanche et sa balance, les yeux bandés, faire un tour dans les fourrées). il n'empêche que LE REPENTIR démontre avec brio que ces générations de tyrans et de brigands n'ont pour descendance que des enfants perdus, aux révoltes bouillonnantes destinées à faire plouf. On sait ce qu'il en a été depuis.

Lu dans un vieux numéro de la revue TRAFIC ce court texte du cinéaste Hollis Frampton écrit en 1973 :

On parle beaucoup du cinéma comme d'un moyen pour enseigner, mais pas suffisamment comme d'un moyen pour apprendre. Beaucoup de ce que j'ai appris, - à la fois ce que j'apprécie et que je n'a pas encore appris à apprécier - je le tiens du cinéma, c'est à dire de ceux qui le font. Ce que nous tentons d'apprendre, toute notre vie, c'est comment la vivre. La dernière fois que j'ai vu ma grand-mère, elle m'a dit: "Nous apprenons à peine à vivre, et déjà nous sommes prêts à mourir." Puis elle a pleuré un peu. J'avais aussi envie de pleurer, mais je n'ai pas pu. Je n'avais pas appris à le faire.

Est-ce qu'un film comme LE REPENTIR nous apprendra à vivre sous la dictature ? Pas sûr. Nous préparer à une mort certaine ? Peut-être. Une chose est certaine, il nous aura rappelé que lorsqu'on est artiste, poète, intellectuel ou écrivain, il ne faut pas chercher à discuter avec un autocrate mythomane qui a des prétentions dans l'art (ici, l'opéra). Le peintre Baratelli, seul "grand" personnage de cette galerie de guignols, figure échappé de Tchekhov avec ses airs de Christ naïf et clairvoyant, reste la plus belle du film.

Vu aussi EL CLUB du Chilien Pablo Larrain, tourné en 2015 entre une série télé et NERUDA. C'est en regardant sa filmographie qu'on s'aperçoit que Larrain est un cinéaste qui n'arrête pas, et c'est peut-être la première fois qu'un de ses films  me laisse sur le bas-côté. En cause, peut-être, la lourdeur de son sujet, à la fois ramassé en un huis-clos qui se voudrait synthèse et litote d'un sujet lourd comme un âne mort, surtout dans l' Amérique Latine d'après la chute des dictatures: le rôle et la responsabilité de l'église dans différents scandales (pédophilie, détournement de nourrissons, participation passive aux aux exactions policières, etc...). Le tout ramassé dans cette maison en front de mer où cinq prêtres défroqués attendent la fin de leur disgrâce en compagnie d'une ex-nonne.

Deux éléments perturbateurs pour secouer tout ça: un pauvre type qui reconnait parmi ses hommes le curé qui l'a violé enfant (l'étonnant Roberto Farias, qui semble jouer sa partie continuellement saoul), et un prêtre psychiatre dépêché pour voir s'il ne fallait pas fermer l'endroit (un des prêtres vient de se suicider). 

EL CLUB pourrait passer pour une pièce de théâtre filmée, à la manière de LA JEUNE FILLE ET LA MORT de Polanski qui, dans une même ambiance délétère, savait filer vers un mode sauvage de série B pour régler son compte au passé douloureux d'un pays et à ses tortionnaires. Le film de Larrain s'égare en voulant régler son compte à tout ce petit monde en même temps (victime et chien de compagnie compris) sous couvert de pardon et d'expiation générale. A l'arrivée de ce DIX PETITS NEGRES chez les jésuites, chacun se retrouvera autour de la table à manger pour prier.

Constat amer, sarcastique du retour au même, ou aveu sincère de commisération, on reste déçu néanmoins que ce chapelet de cancrelats s'en tire, encore, avec l'extrème onction.

Vu pour se détendre un peu après ça, un bout d'chou de film fais-moi-bouh made in England, LES FAUCHEURS d'un certain Dario Piana (2007). C'est fou comme les productions de genre actuelles ne savent pas faire durer leurs bonnes idées de base jusqu'au bout, quitte à en être pour un final pourri, comme bien souvent. Cela débutait pourtant bien avec l'histoire de ce type qui est pris dans une boucle temporelle atroce qui le voit assassiné chaque jour à la même heure et ressusciter un an plus tard, mais quelques minutes avant que les horloges ne se bloquent à nouveau et qu'il soit assassiné d'une autre manière... 


Les scénaristes ont donc eu cette riche idée de mélanger deux idées de petit malin du cinéma contemporain: le slasher fataliste à la DESTINATION FINALE (ça va vous arriver, mais vous ne savez pas comment), et la boucle temporelle façon UN JOUR SANS FIN. Seulement, au tiers du film seulement, le film fait une fausse route et s'engorge avec les poisons les plus communs du film d'épouvante contemporain: retournement de situation nul (en fait, notre héros est un ancien "faucheur" repenti que les siens cherchent à punir), images de synthèse obligées et une malheureuse histoire d'amour qui n'a pas grand chose à faire là.


Dommage, on se serait amusé à ce que ce délire (un jour, un meurtre, une même victime) dure plus longtemps, de manière plus gratuite que ça, quitte à envoyer le gore et l'épouvante sur les genoux de Tex Avery ou de Buster Keaton (ou de Marc Behm, qui a si bien su dans ses romans personnaliser la Mort en personne). Dommage aussi pour son comédien principal qui, malgré ses airs de Delahousse à mèche blonde (Mike Vogel), n'est pas mal du tout. 

Complètement raté.

Pour conclure, cet axiome de Lao-Tseu cité dans LE REPENTIR (sans doute apocryphe, mais qui pour s'en soucier ?) :

Chercher un chat noir dans l'obscurité, même s'il n'y est pas. Celui qui commande ordonne qu'on trouve le chat noir, même s'il n'y est pas.


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