jeudi 21 mai 2020

Et puis, Piccoli.


Vu du coréen Jee-woon Kim THE AGE OF SHADOWS, film historique réalisé en 2016 et qui retrace une page à la fois romanesque et sanglante d'un réseau de résistants nationalistes dans la Corée de l'avant-guerre sous occupation japonaise. C'est un peu le pendant coréen du magnifique LUST, CAUTION de Ang Lee qui reconstituait le même climat de terreur, mais en Chine. A la Mata Hari du film de Lee et son groupe d'activistes amateurs et un peu romantiques se substitue ici un réseau de terroristes solidement organisé qui ne craint ni les fusillades ni les effusions de sang.

De Jee-woon Kim on se rappellera qu'il n'est pas cinéaste à faire dans la dentelle (LE BON, LA BRUTE ET LE CINGLE, DEUX SOEURS ou encore J'AI RENCONTRE LE DIABLE), et on continuera à garder de lui l'image d'un réalisateur conscient de sa virtuosité, capable de tous les coups d'éclat mais finalement assez dépourvu d'originalité. Si les trois films cités plus haut ont marqué les esprits, c'est aussi et surtout qu'ils sur-exploitaient les possibilités de genres déjà travaillés au corps par d'autres: le western spaghetti, le film de fantômes ou de psychopathes.

Comme tout le monde ne peut pas être Tsui Hark, ni Kyoshi Kurosawa, ni Park-chan Wook, Jee-woon Kim ne fait qu'en rendre des copies. Dans l'exagération et l'art de pousser le bouchon un poil trop loin, on continuera de préférer Park-chan Wook ou Bong-joon Ho, d'authentiques créateurs de genres, eux. Pour continuer à filer la comparaison avec ses prestigieux collègues, et avec LUST,CAUTION en particulier, il ne se trouve pas dans THE AGE OF SHADOWS cette figure séduisante et opaque du personnage campé par Tony Leung, à la fois manipulateur, amant et bourreau, qui n'en finissait pas de jeter le trouble sur la valeur de sa liaison torride avec la belle Wei Tang. A ce titre, on aurait aimé plus de trouble et de tergiversations dans le personnage de flic campé par Kang-ho Song. Infiltré ou pas ? "Retourné" à la cause révolutionnaire ou pas ? Le cas est vite réglé et le cinéaste, bien occupé à régler quelques grandes scènes et à laisser mijoter quelques maigres retournements de situation, laisse le soin aux poncifs de s'occuper du reste.

Ces réserves énoncées, demeure un film qui, comme tous ceux de Jee-woon Kim, se regarde sans ennui et pas mal de jubilation: le chassé-croisé dans le train de nuit entre flics et rebelles est un sacré morceau de mise-en-scène, entre autres exemples: c'est déjà beaucoup.

Re-vu l'unique David Lynch qui m'avait "échappé" (moi me grattant le sommet du crâne, un point d'interrogation au-dessus de la tête) et pour cause: les deux premières saisons de TWIN PEAKS étaient un tel fatras de souvenirs diffus sans queue ni tête qui avaient pour origine cette excellente excuse qu'il m'avait bien semblé (chose vérifiée depuis) ne pas avoir tout vu ou alors, de manière complètement désordonnée.

Et puis, re-découvrir TWIN PEAKS: FIRE WALKS WITH ME à la lumière des deux premières saisons, revues dans l'ordre cette fois, et surtout de l'incroyable saison 3 offre à tout Lynchien qui se respecte un pied phénoménal. Je ne m'attarde pas ici sur le film lui-même, tant de choses ont été dites et bien dites sur cette oeuvre-monstre qu'il serait présomptueux d'en rajouter. Une chose m'a sauté aux yeux pourtant, qui n'a pas assez été dite à ma connaissance: personne n'a donc vu que la performance de Sheryl Lee est incroyable ? Personne pour s'offusquer qu'elle n'ait pas eu le Prix d'Interprétation à Cannes en 1992 (c'est Pernilla August qui l'obtint, dans le téléfilm palmé de son époux LES MEILLEURES INTENTIONS, non mais je rêve...), personne pour se rendre compte qu'aucun cinéaste n'a su utiliser son talent par la suite ?

Vu ou re-vu (car oui, il me semble bien l'avoir vu, enfant), le délicieux JOUEUR DE FLUTE de Jacques Demy (1972), adaptation de la célèbre légende allemande réécrite par les frères Grimm, une merveille qui vaut bien tous les enchantements de PEAU D'ANE. Ici, même si on n'y croise pas de Delphine Seyrig avec sa baguette de fée (amour éternel, Delphine...), s'y trouvent quand même une certaine crème de l'"acting" british en la personne de Donald Pleasence ou John Hurt. Ce bon Donovan est choupi comme tout avec son chapeau à pointe et ses instruments, et tout comme les roucoulades de Michel Legrand passent comme lettres à la poste dans ses autres films, les ballades naïves du barde de Glasgow s'accordent avec bonheur à ce magnifique livre d'images.

Ecclésiastes inquisiteurs en  rouge, notables en vert, enfants en robe blanche, comme toujours chez Demy le conte est aussi et avant tout conte cruel et magnifie la morale de l'histoire: emmener les rats vers la mort pour éradiquer la peste, certes, mais plus important: arracher les enfants à leur famille pour leur faire échapper au pire: le monde des hommes.

Vu non sans quelque appréhension une autre adaptation d'un autre roman de l'horrible Jack Ketchum, l'auteur de LA FILLE D'A COTE, dont la grand sujet semble être l'émergence du psychopathe au coeur du quotidien le plus banal. Après nous avoir conté par le menu les horreurs subies par une jeune fille enfermée dans une cave sous l'influence d'une mère de famille tarée, THE LOST de Chris Sivertson (2006) nous raconte l'émergence d'un beau spécimen de serial-killer adolescent. 

Cela commence tout de suite avec le meurtre gratuit de deux campeuses à coups de fusil sous le regard horrifié mais complice des deux meilleurs amis du tueur, le dénommé Ray Pye. Les flics du coin sont sûrs de sa culpabilité mais n'arrivent pas à le prouver. 

Ce Ray Pye est ce qu'il y a de plus réussi dans ce méchant psycho-thriller réalisé à la godille. Campé à la "Jared Leto" par Marc Senter, jeune comédien qui semble s'être bien éclaté sur ce coup-là, Pye est un type séduisant mais bizarre, toujours maquillé d'eye-liner, le gomina noir corbeau, et le regard d'un bleu... pas rassurant. Petit détail qui cloche, plutôt de petite taille, il s'est fait des talonnettes avec des canettes écrasées au fond de ces bottes qui lui donnent une démarche de pantin désarticulé.

Rien ne va dans la mise-en-scène de Sivertson, qui tente à tout bout de champ des "trucs" visuels qui agacent plus qu'ils ne rendent compte du dérèglement en pleine floraison du personnage: flash-backs inopinés, séquences fantasmées en simili-16 mm saccadé, scènes de cul frénétiques, personnages de second plan pas vraiment crédibles (dont les deux "amis" du héros, crétins manipulés plus crétins que manipulés).

Il aurait fallu faire plus confiance à la puissance du personnage, et à son interprète, vraiment flippant, et se contenter de filmer sa lente ascension vers l'explosion. Ce qui aurait nécessité, aussi, une certaine tenue dans la tenue du scénario et de la mise-en-scène. C'est pourquoi l'infernale séquence finale, aux limites du supportable, plus qu'un paroxysme, arrive comme une délivrance (pour le spectateur). Le hurlement de Ray Pye dans le dernier plan est ce qu'il y aura eu de plus incroyable de tout le film, mais il arrive vraiment tard. 

Et puis Piccoli.








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