mercredi 7 octobre 2020

Un monde sans hommes.

 


Il ne faut pas s'y tromper: le cinéma de Hong Sang-soo est à plusieurs vitesses. Et à l'intérieur de chacun de ses films, il faut savoir le suivre... Car contrairement au premier ressenti face à LA FEMME QUI S'EST ENFUIE, son dernier opus (que je suis heureux de ne pas avoir manqué car un film de Hong, ça survit quinze jours maxi en salle, de par chez nous...), sans doute un de ses films les plus statiques, rien n'est moins immobile, plus mouvant que lorsqu'il a l'air de ne pas filmer grand chose.

Gam-hee profite que son époux soit en voyage d'affaire pour prendre un peur l'air, pour une fois: comme elle le dit à tout le monde, depuis 5 ans qu'ils vivent ensemble, ils n'ont jamais passé une journée loin l'un de l'autre. Aussi rend-elle visite à cette vieille amie qui vit seule depuis son divorce. Elles mangent ensemble, se saoulent un peu en compagnie d'une troisième jeune femme, et ces retrouvailles sont interrompues par un nouveau voisin qui vient leur demander de "ne plus nourrir les chats de gouttière du quartier" car son épouse en a peur.

Chez cette autre amie, qui est artiste et lui fait part de son béguin pour un de ses voisins, elle se rappelle quelques souvenirs, mange, boit et rigole. Jusqu'à ce qu'un jeune passablement énervé vienne sonner à leur porte pour demander à cette amie pourquoi elle le rejette aussi durement depuis une nuit passée ensemble.

Enfin, dans un café-salle de spectacle où elle se rend pour voir un film, Gam-hee croise une ancienne amie qui fut celle qui, jadis, lui "piqua" son amoureux de l'époque, aujourd'hui devenu universitaire reconnu. Les deux femmes mangent ensemble, tout cela est du passé, avant que Gam-hee ne tombe sur cet ex, qui a pris de l'âge, est devenu bien sûr de lui, et très pontifiant. Alors qu' il commence à lui raconter sa vie, Gam-hee le plante là, et au revoir.


C'est un film de Hong Sang-Soo: vous n'avez pas vu grand chose en apparence, mais vous venez encore une fois de tomber dans des abîmes de subtilité. Qu'allait-il nous faire cette fois ? Une autre histoire de moments de vie refaits à l'infini, comme autant de vies possibles comme il en a déjà réalisées ? Celle ou celui qui a déjà joué avec son cinéma, ou plutôt qui s'est retrouvé entre ses pattes de gros chat joueur et souriant, savent bien qu'on ne peut jamais deviner à l'avance ce que ces apparents instants banals recèlent, comme trésors cachés. Ici, ce ne sera rien d'autre que trois instants consécutifs basés sur le même rythme: retrouvailles / bonheur de l'instant / irruption grossière d'un homme qui n'avait rien à faire là / et ce petit détail qui compte: Gam-hee à chaque fois ouvre une fenêtre pour prendre l'air.

Quel bonheur que cet homme-là. Il va peut-être falloir arrêter de bêtement le comparer à d'autres grands cinéastes pour le comprendre: un peu Rohmer ici (les amours, les amitiés, les discussions qui n'en finissent plus), un peu Resnais ailleurs (dans quel espace-temps se trouve-t-on ?), un peu Woody Allen peut-être (des situations cocasses ou gênantes liées à des histoires d'amour mal gérées), où l'on mange et boit bien (beaucoup de beuveries au soju dans ses films plus anciens, quelques verres de vin dans celui-ci). Avec un rien, il vous enchante, vous fait rire ou vous émeut. Hong est un peu magicien. En fait, il n'y en a pas deux comme lui.

Un film comme HOTEL BY THE RIVER, son précédent opus, plus ouvertement frondeur et esthétisant avec son noir-et-blanc sublime et ses drôles de trous dans la trame, a pu trouver un écho particulier dans sa filmographie. De cette FEMME QUI S'EST ENFUIE, on peut comprendre que beaucoup n'ont pas su quoi en faire (quoi en dire)... Au coup des "trois possibilités" qu'il aurait pu nous refaire, à la SMOKING/NO SMOKING ou UN JOUR AVEC, UN JOUR SANS, il a le culot de nous proposer juste ça: trois moments qui se suivent et de ressemblent (et s'assemblent). Un autre genre de fantastique du hasard avec lequel Hong adore faire joujou.

Reste ce moment inouï, posé là comme un récif sur lequel sa caméra glisse sans en faire toute une histoire: lorsque Kim Min-hee, seule dans cette salle de cinéma, regarde l'écran, on y voit l'ombre d'un homme qui se lève et quitte la salle. C' est bien celle du cinéaste lui-même.

Comme on est un peu fleur-bleue, et qu'on considère ici que le couple formé par Hong et sa radieuse égérie est de très loin le plus beau couple vivant de cinéma, sur et hors de la toile, on frémit à la simple idée que cet opus, encore une fois sublime, soit aussi un film de séparation: cette femme qui s'enfuit et savoure des moments passés loin de celui avec qui elle vit "collée" en permanence, ces hommes qui tombent comme des cheveux sur la soupe, Kim seule dans la salle et Hong qui s'en va. 

Pourvu que ce ne soit pas ça... Mais avec Hong, on ne sait jamais à quel degré il faut prendre les choses. Pour ce qui est de son cinéma, on n'en démordra toujours pas: il est toujours le cinéaste le plus grisant de son époque.



(Toujours attendre un peu avant que la salle ne se vide, pour écouter les réactions du public qui s'en va, et vient de voir pour la première fois un film de Hong, ça mériterait un book... Ici j'ai donc eu droit à...
- Mais pourquoi elle retourne dans cette salle de cinéma à la fin, c'est toujours la même image, t'as compris pourquoi, toi ?
- Parce que les vagues et la mer, c'est apaisant.
et
- J'ai eu du mal à comprendre que c'était pas la même femme, même si je voyais bien que c'était pas le même appartement, je croyais que ça recommençait la même chose: je les confond toujours, elles se ressemblaient, non ? )

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