dimanche 25 octobre 2020

C'est la lutte finale, sale con.

 


Soyons direct. C'est l'histoire d'un mec, jeune blanc-bec qui vient d'hériter du business de famille, qui se rend pour la première fois sur les lieux. Nous voilà sur ce qui semble être un quai de déchargement, dans une zone portuaire, et tout de suite un de ses employés le met en garde: attention, ne pas franchir cette ligne (sommairement peinte au sol). Nous sommes chez Kiyoshi Kurosawa, alors gaffe: à l'intérieur de son cinéma, il peut tout arriver. Attaque de zombies, transformation d'êtres humains en tâches noires sur les murs, crash d'un boeing dans votre living-room, disparation d'un fantôme vindicatif en robe rouge dans une bassine remplie de flotte; dans l'un de ses chefs-d'oeuvre, CURE, il vous collait les foies à chaque fois qu'un briquet s'allumait.

Il y a quoi, derrière cette ligne ? Un truc, c'est sûr, qu'il ne faut pas aller voir. Alors pourquoi ses employés ont le droit d'y traîner, et pas lui? C'est lui le patron, oui ou merde ? Le jeune freluquet, incarné par une sorte de star k-pop pour adolescente japonaise, comme Kurosawa adore en employer dans ses films, a un flash subit pour une jeune femme qui travaille sur les docks: tenue de travail, casque sur la tête, gants de chantier mais rien à faire: un sacré bout de jolie fille. Il possède déjà l'entreprise, il aura la femme.


L'invitant poliment à venir le rejoindre dans ses appartements, la jeune femme lui retourne une fin de non-recevoir non moins polie, mais ferme. Quand il s'aventure à lui effleurer l'épaule, elle l'envoie dinguer trois mètres en arrière. N'écoutant que son courage, et se croyant sûrement très intelligent, notre héros lui barbote sous son nez sa carte de pointage et l'aventure commence, sur le mode: si tu la veux, tu n'as qu'à venir la chercher. Un peu mon neveu qu'elle la veut, et elle va aller la chercher.

Le reste, c'est simple: notre Barbie furieuse s'empoigne avec un vigile à matraque et l'étale. Puis avec un garde du corps très yakuza d'allure, et ils s'en mettent une bonne tartine sur la tronche. Puis un deuxième vigile, et encore un homme de main. On notera que par deux fois, à l'intérieur de ce joli bâtiment avec ses beaux open-spaces et ces costards-cravatés, des freluquets aventureux voudront l'assommer par derrière (avec un vase, avec une carafe) avant de se retrouver dans les vapes, les quatre fers en l'air.

En fouinant pour savoir qui était cette amazone du free-fight, on tombe sur la fiche d'une certaine Mao Mita, profil de pin-up L'Oréal mais avec uniquement des films de sabre et de combat à son palmarès: Kiyoshi a trouvé une cascadeuse de première main, et c'est magnifique. Plus crédible que la doublure de Charlize Théron ou d'Angelina Jolie agrémentée d'images de synthèse, Mao Mita fait tout le travail elle-même. Pas besoin de coup de main, elle en fait son affaire.

A la fin, le patron-minet continue à vouloir faire son malin (il a la carte de pointage, il aura la femme), et se fait éteindre la lumière d'un joli coup de pied retourné en pleine face. et puis c'est tout.


29 minutes après, le film est terminé. On redoute un licenciement immédiat pour la revêche Mao, au moins une lettre d'avertissement, une convocation en conseil de discipline, et on ne voudrait pas être celui qui lui apportera la lettre en main propre. En ce qui me concerne, une demande en mariage s'impose (à demander poliment).

Réalisé sur le pouce en 2013 entre son génialissime SHOKUZAI et le très étrange REAL, ce BEAUTIFUL NEW BAY AREA tourné à l'élastique dans un entrepôt désaffecté et les bureaux anonymes d'un quelconque immeuble d'affaires, témoigne au moins de trois choses.

Que Kurosawa, 45 ans de carrière et 50 films à son actif, est un cinéaste aguerri à tous les genres, à tous les systèmes de production, à tous les formats (de la série-fleuve au court-métrage).

Qu'à partir de rien, de quelques acteurs aux capacités spécifiques et d'un motif tout simple, il sait décupler une idée toute bête par la seule puissance d'une mise-en-scène extravagante, et hyper-efficace.

Que faire sa fête, en moins d'une demie-heure, au machisme institutionnel comme à l'abus de pouvoir des patrons arrogants, #metoo et l'Internationale en un tout-en-un détonnant, et en un mini- film de kung-fu, il n'y a que lui capable de ça. 




n.b.: et euh... désolé, mais ça ne se trouve que sur Mubi c't'affaire, à ma connaissance...

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