vendredi 9 octobre 2020

July in october (l'été en automne, quoi).

 


Au royaume des fous, les folles sont reines. Cette Miranda July a certainement plus d'un tour sous son chapeau, et tout plein d'araignées dedans, ça ne fait aucun doute. Son KAJILLIONAIRE qui vient de sortir ne possède qu'un (vague) parent éloigné sur la carte somme toute assez homogène du cinéma américain actuel, et ce serait, peut-être, le PUNCH DRUNK LOVE de P.T. Anderson, un film qui, d'ailleurs, m'avait complètement laissé sur le bas-côté.

Passé l'effarement légitime éprouvé face à pareil spectacle, le spectateur pugnace n'aura de cesse de se demander si ce qu'il vient de voir est bien réel, et comment diable un film comme ça a pu trouver des financements. On a vu Brad Pitt crédité comme producteur exécutif, à la fin, peut-être que ça tient à ça. A la présence aussi, d'Evan Rachel Wood et de Richard Jenkins, moyennement bankables mais quand même, en tout cas une chose est sûre: ça fait du bien de voir qu'un truc pareil est encore possible à Hollywood.

C'est l'histoire d'un trio infernale, donc,  maman-papa-fifille, attelage de paumés notoires toujours fringués comme des sacs qui vivotent d'arnaques franchement minables, au jour le jour, et crèchent dans un immeuble de bureaux open-space inoccupés pour une misère, loyer qu'ils ont du mal à payer. Le film de Miranda July se passe dans les décors étales d'un Los Angeles qui n'a jamais autant ressemblé à une suite déprimante de friches de banlieue pourrie. Comme dans PUNCH DRUNK LOVE où était posée, au milieu, cette fabrique de balai de chiottes (si, si, pour de vrai), on n'y croise qu'un bureau de poste, une usine à machins nommé "Bubbles", des associations d'aide aux femmes enceintes, aux jeunes mamans en difficulté, des épiceries 24/24 où on ne vend que de la merde et, de temps en temps mais à fréquence régulière, des secousses sismiques qui viennent égayer l'ambiance.

C'est absurde, loufoque et déprimant. Entre l'Amérique des banlieues chics avec arroseurs automatiques, les lofts chics de Manhattan et le beauf hirsute qui vous attend avec un fusil sous le porche de son mobil-home dans l'Arkansas, il y a donc aussi ça, l'horreur absolue: des gens sans rien qui doivent y arriver malgré les apparences, et le fait qu'ils ne soient rien, le tout au milieu de nulle part, dans un décor en placo.


Comme PUNCH DRUNK LOVE qui n'était, pour de vrai, qu'une histoire d'amour contrariée entre un nigaud embarrassé et une fille dans la lune, KAJILLIONAIRE passe à mi-parcours à autre chose, et vient illuminer le film tout entier: Old Dolio, fille unique de Theresa et Robert, qui ont passé leur existence de parents à l'élever comme un chien d'affût, et se servir d'elle comme d'un couteau-suisse, finit par se sauver en découvrant l'amour, le vrai, l'absolu, mais après avoir compris toute l'horreur de ce qui la retenait.

On a rarement vu, au cinéma, pareille charge, aussi violente, contre ce qu'on appelle LA FAMILLE (un papa, une maman comme chacun le sait, et dans cet ordre-là). Chapeau à Debra Winger et Richard Jenkins d'avoir incarné aussi bien l'absence totale d'amour (une absence si totale qu'elle vous glace deux ou trois fois au détour de séquences d'une cruauté presque masquée par le ridicule des situations: la séquence du jacuzzi en est à ce titre un des moments les plus ignobles), et à Evan Rachel Wood (Old Dolio) qui a réussi à escamoter son physique de mannequin derrière des pantomimes de pantin avachi, dos voûté.

On ne sait pas trop pourquoi, durant une bonne partie du film, on hésite à prendre le personnage incarné par Gina Rodriguez au sérieux: elle semble se faire embarquer par cet attelage d'arnaqueurs et, au fur et à mesure que s'affirme son sex-appeal tonitruant, toute son attention fait focus sur l'objet de son trouble.


Heureuse Old Dolio, magnifique Melanie (Gina Rodriguez), que vos baisers rejoignent les étoiles et que les cons disparaissent, maman et papa aussi, s'il le faut. Tout à coup, tout devient beau, le décor n'a plus aucune importance, et c'est dans un appartement entièrement vidé, dévalisé, que les amoureuses enfin s'étreignent.

Message à l'adresse de tous ceux qui veulent tout, tout de suite, et prient en église pour que l'Amérique et son billet vert soient great, again: fermez la porte, embrassez-la, oubliez donc toutes ces conneries et zou, au dodo.

(coucou à Debra Winger, star des années 80 qui avait abandonné sa carrière sans crier gare ! et réapparaît tout à coup: cette sacrée nana avait tout laissé tomber au fait de sa réussite, parce qu'elle jugeait que Hollywood était un milieu malsain. On n'est pas surpris de la retrouver, plus de 30 ans après, dans un film comme celui-là, signé par cette cinéaste-là. Pas ailleurs).

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