vendredi 2 octobre 2020

Little big Holm


 Craquer sur... arte.tv qui repasse en ce moment DE BEAUX LENDEMAINS d'Atom Egoyan, film vu à sa sortie en salle (en 1997) bardé d'un Grand Prix à Cannes, et qui ne m'avait pas, à l'époque, fait une grosse impression. Alors pourquoi y retourner ?

Parce que: Ian Holm. Comme tous les cultes voués à un(e) quelconque comédien(ne), celui-ci n'est pas plus irraisonné qu'un autre, mais revoir ce grand acteur, dans ce film-là, s'imposait. J'avais bel et bien le souvenir qu'il y était encore une fois prodigieux, et j'ai donc pu vérifier que c'était toujours vrai.

Holm était un drôle de spécimen: à la fin des années 70, alors qu'il brillait sur la scène shakespearienne (selon bon nombre de spécialistes accros au grand Will, il fut un Henry V absolument époustouflant, étalant la concurrence), il fut un soir victime d'une véritable crise d'angoisse en pleine représentation, qui lui coupa le sifflet et le traumatisa pour toujours. Il ne voulut jamais remonter sur les planches, et comme le cinéma n'attendait que lui, il fit la carrière que l'on sait.

Beaucoup se souviendront de lui en Bilbo, mais ce fut bien sûr dans le rôle de l'androïde Nash dans le premier ALIEN (que je considère toujours comme le seul vrai méchant du film) qu'il fit étalage de tout son talent. Malgré ces airs de vrp un peu veule et son mètre 62, il savait tout jouer: un Prince Jean couard et neuneu dans LA ROSE ET LA FLECHE de Lester, un Napoléon Bonaparte pompette chez Gilliam, un entraîneur d'athlétisme italien (LES CHARIOTS DE FEU), un ethnologue belge dans les forêts du Congo (GREYSTOKE), l'incompétent bureaucrate Kurtzmann dans BRAZIL, le mauvais comédien mais aussi excellent professeur de théâtre de ESTHER KAHN pour Desplechin, le médecin taré de la Reine d'Angleterre de FROM HELL, jusqu'au cynique trafiquant d'armes de LORD OF WAR et, pourquoi pas, le prêtre paumé et rigolo dans LE CINQUIEME ELEMENT.


Point commun à tout ça: rien que des seconds rôles. Bonhomme au physique discret que le trac avait fini par balayer des planches, Holm adorait briller, mais derrière les autres. On peut considérer DE BEAUX LENDEMAINS comme le seul premier rôle de sa carrière. Mais on s'y tromperait car, même s'il figure pour une fois en haut de l'affiche, il n'est qu'un personnage perdu dans le nombre, juste à part dans l'histoire, du fait de sa situation d'intrus.

Le personnage qu'il incarne ici n'est guère aimable (Holm se foutait de l'être ou pas), c'est un avocat qui travaille à persuader les membres d'une petite ville de l'Alberta à "réclamer justice", et réparation après un accident de bus horrible dans lequel tous les gamins de la ville, quasiment, ont perdu la vie. Demander réparation à qui, au nom de quoi, qui attaquer en justice ça, lui-même ne le sait pas trop mais une chose est sûre pour lui: pareil drame induit obligatoirement un responsable, et celui-là devra payer. C'est que Mitchell voudrait faire payer bien des choses à cette vie, en l'occurrence le fait d'avoir une fille qu'il ne voit jamais et que la drogue est en train de détruire.

Je me rappelle avoir voulu voir DE BEAUX LENDEMAINS car, lecteur de Russell Banks à l'époque, je considérais ce roman comme un de ses plus beaux, avec SOUS LE REGNE DE BONE et AFFLICTION (qui sera adapté également: le meilleur film de Paul Schrader, et de loin), j'avais voulu voir ce qu' Egoyan avait pu en faire. J'avais sans doute été déçu par le côté plan-plan du montage (alors qu'il ne l'est pas du tout, il se montre même virtuose dans ses allers-retours entre l'avant, le pendant, et l'après-accident) et surtout par un côté mélodramatique qui frisait l'insupportable dans le dernier quart d'heure.

Sauf à apprendre qu'Egoyan a remonté le film après derrière mon dos, je n'ai pas du tout retrouvé ce sentiment de trop-plein: DE BEAUX LENDEMAINS est tout simplement son meilleur film. L'ancien chouchou de la critique internationale, l'ancien roi des festivals a beaucoup perdu de son brillant depuis, à tord ou raison, mais ce film-là reste poignant, sans les chichis exaspérants de certains de ses films précédents comme EXOTICA, par exemple.

Mais revenons à Ian Holm. Dans la scène la plus vertigineuse du film, Mitchell raconte à une vieille connaissance de sa fille comment il a failli, un jour, la perdre alors qu'elle était toute petite, victime de la morsure d'une veuve noire. Alors qu'il raconte cet épisode traumatisant, Egoyan nous montre le visage attentif mais fermé d'une petite fille dans les bras de son père: c'était le regard qu'elle lui adressait alors que la voiture filait vers l'hôpital le plus proche alors que lui, canif ouvert, était prêt à lui plonger la lame dans la gorge au premier signe d'évanouissement.

En admirant une nouvelle fois l'acuité du jeu de Holm, la perfection de ses respirations et la cadence de ses mots, une petite sonnette a retenti à l'arrière de mon crâne: j'avais déjà vu ça autre part, il n'y a pas si longtemps. Mais oui, mais c'est bien sûr, c'était dans LA TAUPE, où Gary Oldman fait presque la même chose: sa grande scène où il raconte sa rencontre avec l' espion russe Karla, sans l'avoir compris sur le coup.  Deux séquences jumelles dans lesquelles s'affirment le pouvoir étrange de certains acteurs: nous faire vivre une scène jamais montrée, nous faire vivre un flash-back qui n'a jamais été filmé, et nous en faire sentir tous les frissons

Fucking british actors...

Reste un film que j'ai pu réévaluer à sa juste valeur (mais pourquoi étais-je passé autant à côté ?) et dont le ton anti-système et quasi "libertalien" (typique des romans de Banks d'ailleurs, dans le bon sens du terme) sonne aujourd'hui de manière à la fois étrange et rafraîchissante: cette communauté qui refuse tout apitoiement sur elle-même, et une quelconque consolation par l'argent, finit par se persuader qu'elle pourra s'arranger toute seule.

Grand film sur la perte et le deuil, DE BEAUX LENDEMAINS nous rappelle que seuls face à la mort, l'argent et la pitié ne peuvent pas grand chose. 



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire