mardi 29 septembre 2020

Tous un peu les mêmes, les gens qui s'aiment.

 


Si on aime tant Emmanuel Mouret depuis ses premiers films, c'est qu'il semble bien être le seul, aujourd'hui, à donner la part belle aux sources littéraires de son inspiration, et à travailler ses dialogues comme personne. Corollaire à cet art dispendieux du bon mot et de la réplique ciselée à tout prix, une préciosité longtemps reprochée, ainsi qu'un oubli bien marqué, et très volontaire, du "social" dans son cinéma. Pour évacuer tout de suite le problème, et comme l'a très bien noté je-ne-sais-plus-qui je ne sais-plus-où, acceptons ce cinéma qui nous promène de maisons de campagne cossues en appartements hauts de plafond avec dorures apparentes, comme on acceptait jadis les grands hôtels de Vienne comme cadre aux comédies sentimentales de Lubitsch.

Soit.

LES CHOSES QU'ON DIT, LES CHOSES QU'ON FAIT est sans doute celui de ses films qui nous montre avec le moins de chichi sa structure, pas toujours aussi apparente. Où on s'aperçoit, presque surpris, que les scénarios de Mouret ne sont pas si compliqués, ni sophistiqués que cela: il ne s'agit ici, en fait, non pas de chassés-croisés amoureux compliqués avec moult(e)s amant(e)s dans les placards et situations boulevardières, mais de simples coups de foudres, d'amours compliqués qui se terminent au lit, c'est sûr, mais ne sont embarrassantes que parce qu'elles sèment, juste pour un temps, le trouble chez les amants de passage. Ils sont surtout embêtants en ce qu'elles trahissent une personne aimée: une ex, une épouse, un cousin, un meilleur ami, ses principes, et qu'au bout il y aura des secrets à garder.

Il n'y a dans ce film que le personnage de Sandra (Jenna Thiem), et peut-être un peu celui de Gaspard (Guillaume Gouix) pour s'embarrasser de préceptes philosophiques bien cadrés, plus ou moins clairement énoncés dans une sorte de dialogue qui paie clairement son tribut, pour le coup, à Eric Rohmer, où les deux s'engueulent sur le sujet avant de tomber dans les bras l'un de l'autre. Manière d'illustrer à la lettre la clarté du titre du film: point besoin de blabla puisque, à la fin, les corps auront raison de tout.

On n'est donc pas dans LA COLLECTIONNEUSE ou PAULINE A LA PLAGE: chez Rohmer, on s'en tient à ses principes, quitte à le regretter amèrement au final. On n'est pas chez Marivaux et Diderot non plus: si on se tord les méninges pour analyser ses accès de passion, et ces mouvements du corps qu'on ne voyait pas coïncider avec ceux du coeur, les prises de tête laissent vite place aux étreintes sans contrainte. Les personnages de Mouret sont en cela moins compliqués, plus modernes et instinctifs que leurs prédécesseurs des XVIII° et XIX° siècle car ils savent que l'attraction des corps possède une vérité plus palpable et concrète, qui échappe à la théorie, qui elle n'éprouve rien. 

Plus en tout cas que ce qui est inscrit dans les livres: si chaque pièce filmée dans le film, chez n'importe quel personnage, possède quantité de bouquins, souvent du sol au plafond, c'est pour que les amants s'en servent comme objets d'oubli, de diversion (on lit en faisant semblant de ne pas remarquer l'autre), ou carrément comme ustensile de scène de ménage, à se balancer dans la figure.



Rien n'est compliqué finalement: on se laisse aller à ses élans (et chez Mouret, ce grand amoureux de l'amour, c'est quasi systématique, de façon presque gaguesque) et on finit par succomber à cet amoureux de passage, à la petite amie de son meilleur ami, à la femme de son cousin, à son patron plus âgé, à cette ancienne maîtresse abandonnée par son mari. Dans les films de Mouret, au fond, ça n'est pas bien compliqué: il suffit de se parler en toute confiance, et de s'abandonner un peu. Et pouf.

Au bout de cette chaîne passionnelle délicieuse et de jolis coeurs transis, se trouve tout de même le personnage de Louise (Emilie Dequenne). Femme trompée, elle est non seulement sans "amant de secours", simplement abandonnée par le script, et par son homme, parti pour une autre. Mouret lui offre le plus beau rôle, non pas en lui inventant une histoire d'amour, car elle s'en invente une elle-même, faisant croire à François (Vincent Macaigne) qu'elle en aime un autre, pour l'aider à partir. Ce personnage absolument magnifique (on ne dira jamais assez qu'Emilie Dequenne est la seule actrice francophone à savoir tout jouer avec autant de force) annihile soudain ce festival de marivaudage où on aura vu, finalement, que d'adorables spécimens d'amoureux plus ou moins sexy faire montre, au fond, d'assez peu de personnalité, craquant au premier élan du coeur.

Retour à la morale, sûrement pas, car Mouret ne nous montre la grandeur du personnage non sans nous avoir dévoilé l'étendue de sa douleur. Louise, elle seule, aura fait ce qu'elle aura dit. Même si c'est un gros mensonge.


Pas si compliqué, pas si torturé que ça, finalement, la petite partition d'Emmanuel Mouret. Juste éperdue de passion pour celles et ceux qui aiment (ou croient aimer, parce que hein, c'est compliqué). C'est déjà beaucoup, et c'est si joliment raconté. 

Il faut noter quand même que ce qui faisait la gravité retorse de MADEMOISELLE DE JONCQUIERES (Diderot au scénario et aux dialogues, quand même) et la légèreté dans la lune des comédies dans lesquelles il jouait, ont ici totalement disparu (Macaigne aurait pu prendre en charge le rôle de l'huluberlu, et il s'en est heureusement gardé).

On ne lui en voudra pas de ne pas posséder l'écriture du premier, ce serait beaucoup demander, mais il faudrait qu'il comprenne que son corps de grand duduche distingué manque à ses propres films. Il  y manque sa dégaine, son élocution si particulière. Son style "à côté de la plaque" qui ici fait défaut, un peu. Beaucoup... etc.



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