vendredi 22 octobre 2021

La jeune fille et l'araignée (au plafond)


 C'est un film qui nous raconte les deux journées du déménagement d'une jeune femme de son appartement en coloc à un autre, juste pour elle. Je viens de vous prouver de quelle manière on peut très mal vendre un film et perdre des milliers de spectateurs, en deux lignes. Et pourtant, La jeune fille et l'araignée, avec son titre qui sonne comme une musique de chambre menaçante, est un film des plus curieux. Décalé..

Le film fonctionne selon un régime de vie communautaire qui menace sans cesse de saturer: des petites pièces dans lesquels des gens circulent, bricolent, rigolent, bougent les meubles, font la fête ou la gueule. On n'est pas dans la cabine gavée de monde sur le navire de plaisance des Marx Brothers, ça n'est pas aussi absurde mais assez drôle quand même. Dans cet appartement comme dans l'autre, on n'est jamais tranquilles. A nous de définir petit à petit les liens qui existent entre les personnages. Celle qui emménage, c'est celle-ci. Et là, c'est sa mère qui, vue la danse de séduction qu'elle esquisse auprès de ce monsieur bricoleur venu faire les menues travaux d'installation, et peut-être volage, ou sans aucun doute célibataire. 

Au centre de ce remue-ménage, Mara est présentée comme la coloc de Lisa, qui s'installe. Ex-coloc plutôt, et à plusieurs échanges de regard, on devine que ces deux-là sont très proches, mais que quelque chose a fini par clocher. C'est un film d'incessants coups d'oeil en douce, de regards croisés et de discussions soudainement interrompues par l'irruption de quelqu'un dans la pièce, ou par la sensation de se sentir observé. On s'amuse même de détails qui peuvent en dire long (l'herpès de Mara, que Lisa a peut-être attrapé en lui "faisant la bise"), sur un ongle cassé qu'on s'amuse à tirer doucement, puis d'un coup sec.


Mara est une drôle de nana: un visage grand ouvert mangé par de grands yeux bleus, des airs de fille bien sage mais ses façons de rigoler en douce quand quelqu'un se blesse ou se plante, ses obstinations étranges (elle ne sort pas des toilettes quand la mère de Lisa entre pour pisser, fume sa clope en l'écoutant faire) et son peu d'entrain à participer au démontage des meubles et au portage des cartons font d'elle, d'instinct, le vilain petit canard de cette curieuse ménagerie.

Il serait long, quoiqu' amusant, de faire l'inventaire des situations et des personnages qui flirtent avec la velléité de nuire, ou du moins avec l'envie de tester leurs propres limites comme celles des autres. Sans parler des gamins qui chahutent dans les couloirs à coup de bombes à eau, et des chiens qui bouffent les prises électriques et font tout disjoncter, il y par exemple ces deux autres étranges locataires (deux jeunes femmes aux corps de sylphide et aux regards noirs de banshee, comme échappées d'un méchant conte gothique) qui se "partagent" le gentil jeune homme qui pensait venir à cette crémaillère pour finir dans les bras de Mara. Sans parler des dialogues, aux sous-entendus sexuels parfois violents, qui flirtent avec un genre de SM souriant, que chacun semble apprécier à sa manière. A moins que ce ne soit de l'humour suisse ?


L'instant qu'il faut garder en mémoire, plus que le souvenir de Mara et de cette araignée qui la "protégeait" enfant, et qui se ballade sur son bras dans l'ancien et le nouvel appartement, plus que le "fantôme" approximatif de cette ancienne co-locataire qui a abandonné là son piano pour aller travailler sur un paquebot (l'usage intensif de la chanson Voyage, voyage de Desireless, finit par faire le même effet que les dialogues et les rapports des personnages entre eux: on ne sait pas trop s'il faut en rire, ou s'en inquiéter), plus que ces faux indices qui procureraient un sens plus lourd que voulu au film (ni trauma enfantin donc, ni envie de tout larguer), on choisira plutôt une scène plus précise, bien que moins éloquente. La voilà:


Mara dessine aussi, beaucoup et très bien, et elle s'est amusée à imprimer le plan de l'appartement de son amie à l'aide d'un logiciel d'architecture basique. Aussi raconte-t-elle que ce qu'elle a le plus apprécié dans cet exercice, c'est lorsque le fichier pdf qu'elle voulait importer avait buggé, et lui avait rendu un plan saturé de lignes désordonnées et d'indications qui ne voulaient plus rien dire. En le fermant et en le réouvrant, la bonne version était revenue, et à son grand regret elle n'avait jamais pu retrouver cette copie déconstruite qui lui avait tant plu.


Pour le coup, Mara qu'on aura devinée plus charmée par les lois de l'imprévu comme par celles du désordre affectif et amoureux, pourra toujours se consoler en retrouvant son plan si sagement agencé gribouillé par les gosses, et imbibé de vin rouge, sur une des tables de la fiesta d'hier soir. L'intuition Marx Brothers n'était donc pas si incongrue, et la fameuse rigueur suisse, qui s'en est prise un petit coup derrière l'oreille au passage, s'en retrouve ragaillardie.

Peut-être a-t-on mis la main, avec les frangins Zürcher (pas Zucker...), sur un nouveau genre de comique raffiné qui ne demande qu'à ricaner de ces petites choses cruelles et incongrues, et à s'épanouir. On en redemande.



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