mercredi 6 octobre 2021

France d'en haut, France d'en bas.

 


D'accord, il y a quelque chose d'attendu dans la manière avec laquelle Bruno Dumont taille un costard au petit monde blafard du "journalisme" télévisuel, et si le cinéaste a pu échapper aux lazzi des professionnels de la profession, c'est sans doute parce qu'en plongeant dans la caricature du grotesque, ce qui lui est familier, on ne saurait lui reprocher d'en faire trop. Sa journaliste-star France de Meurs comme son attachée de com' surchauffée (Blanche Gardin, comme au naturel...) semblent tellement au-delà du raisonnable que reconnaitre une vague ressemblance avec de vrais journalistes, ce serait, quand même, comme avouer quelque chose de fâcheux.

Dumont nous embrouille derechef avec cette conférence présidentielle truquée à la godille, avec surimpressions visibles des acteurs sur image d'actualité, avec Macron dans ses tics, son appétence pour les sorties vides de sens, et sa visible complicité avec le parterre à ses pieds. Moments de gêne lorsque Léa Seydoux s'esclaffe aux blagues vulgaires mimées par Blanche Gardin en coulisses, dont une pipe imitée avec ardeur. Qu'est-ce qu'on se marre. Mais c'est souvent comme ça chez Dumont, s'il y va à fond dans la blague grasse (les vannes au ras du slip de Gardin dans le milieu médiatico-politique, c'est comme de faire jouer des flics par des handicapés mentaux, c'est a priori guère de bon goût non plus mais finalement, ça passe).


Des contradicteurs politiques qui sont montés dans les tours en direct se font la bise en sortant du studio, on invite le gratin médiatique à un dîner cinq étoiles où des lobbyistes prônent la reprise en main du pays par le monde des Affaires, au détriment des Etats déficients (on applaudit, en robe de soirée), et France habite un appartement démentiel donnant sur le Parc je-ne-sais-pas-quoi avec son mari, sorte de Michel Onfray complexé (par le salaire de sa femme).

Comme dans Ma Loute où le cinéaste, -allergique, on le sait, aux comédiens professionnels au bénéfice des gueules cassées du réel - avaient fait jouer ses grands bourgeois dégénérés par des vedettes, et la plèbe sauvageonne par de véritables autochtones de son ch'nord, - on soulignera cette même ligne de démarcation entre cette grande bourgeoisie méga-friquée et ultra-médiatique, incarnée par ce qu'il y a de plus hype et people à l'heure actuelle (Seydoux, Gardin et Biolay) dans ce qui semble être des rôles qui sont comme leurs propres caricatures: la belle fille arrogante, la provocatrice connectée très vulgaire, et le dandy parisien toujours soucieux de son image. En face, des pauvres joués par des amateurs échappés de P'tit Quinquin. On saluera au passage le masochisme de ces interprètes, qui pour le coup ne se sont guère ménagés.

Si Bruno Dumont n'aime pas trop les stars, et sans doute pas plus le Paris de la Haute, il n'aime pas non plus le journalisme d'investigation, qui se prétend tel mais n'en est pas. Encore une porte ouverte de défoncée, pourra-t-on dire, mais il faut voir comment il s'attarde, avec une délectation à la fois sadique et curieuse, sur l'observation de "collègues" faire le même travail que lui, mais en mode discount sur la fabrication d'un "vrai" reportage en zone de guerre, que ce soit pour montrer des paysans maliens qui ont pris les armes pour combattre Daech, des réfugiés monter dans un zodiac sur une plage syrienne, ou interviewer la femme d'un violeur récidiviste dans sa ferme. Au coeur de ce dispositif, la misère humaine, bien entendu, mais surtout France de Meurs, en treillis et casque militaire, qui se la donne dans le pathos et le tragique en veillant toujours à se trouver bien au milieu du plan.


Comme il le démontre sans forcer, ceci n'est évidemment pas du grand journalisme, ni de la bonne mise-en-scène. Ailleurs, dans une époustouflante scène d'accident de la route, Dumont fait la démonstration de son savoir-faire en la matière. L'air de dire: ça voyez-vous, c'est du cinéma. On ne dira jamais assez combien il reste un cinéaste peu ordinaire, qui possède une technique et un sens du cadrage hors du commun.

Non, France n'est pas un film sur le journalisme, ni sur la télévision. Ces deux thèmes sont abordés sous l'angle de la farce grasse alors que le véritable coeur du film, c'est France. Une petite acharnée sensible, peut-être, mais qui au gré d'une dépression qui semble l'avoir laminée (mais non), d'une trahison amoureuse dont elle été l'instrument (mais c'était pour le boulot), d'un désastre professionnel où éclate sa duplicité d'horrible petite arriviste (un échange fâcheux capté en plein direct), et d'un deuil dont normalement on ne se remet pas, France restera là, en direct, en léger différé, comme vous voulez, faisant couler des larmes sincères, ou pas, tendant son micro au déshérités et "aux plus fragiles d'entre nous" mais toujours debout, toujours vivante. Toujours bankable.

Une jeune femme bien de son temps.


Petite soeur parigote et plus actuelle de Ma Loute, France démontre encore une fois les principes d'un cinéaste qui nous offre toujours la caricature avant le personnage, l'exagération avant le propos, le ridicule en même temps que la splendeur des choses. En nous faisant toujours voir pour de bon, pour de vrai, l'arrogante stupidité des riches et le ridicule apeuré des pauvres. Il faut croire France lorsqu'elle dit à ses techniciens "C'est beau" en montrant une morne campagne chtie battue par les bourrasques, répondant au "c'est magnifique" lâché auparavant au pied d'un massif enneigé dans les bras de son amant.

Beau et magnifique, ce n'est pas pareil. D'ailleurs, on accède à cette clinique thermale alpestre uniquement si on en a les moyens. France a le droit de tout trouver moche à présent. Tout peut lui être indifférent. Mais elle reste là, au centre de l'image et ça, c'est important.

On ne sait toujours pas à quelles hauteurs crèchent Bruno Dumont et son cinéma anormal, mais là où il se trouve, personne n'ira le déloger avant un petit moment.

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