dimanche 31 octobre 2021

Julie (en 12 chapitres), girouette solitaire


On ne va pas mégoter plus longtemps: tout le monde sait bien que le très sympathique Joachim Trier tient son étiquette de cinéaste important par la grâce de son deuxième film, Oslo 31 aout, portrait saisissant des dernières heures d'un jeune homme qui ne trouvera pas de raison valable pour ne pas en finir avec la vie.

D'où la présence cette année encore du cinéaste norvégien à Cannes, tout comme son poussif Back home en 2015, pour cette chronique légère et un peu triste des années les plus importantes de la vie d'une jeune femme belle et intelligente qu'on va pouvoir suivre sur quelques années. Julie se regarde avec un vrai plaisir, et son découpage en 12 chapitres (+ un prologue et un épilogue comme nous le souligne le générique) annonce tout de suite la couleur: ce scénario très bien organisé traitera des moments les plus décisifs de la vie de Julie qui, - justement c'est une aubaine - a beaucoup de mal à suivre un cursus universitaire jusqu'au bout (bien qu'elle soit brillante en tout, elle ne terminera ni sa médecine, ni sa psycho, et se lancera dans la photo) et finit toujours par planter ses histoires d'amour sur d'insolites coups de tête.

Car il fallait bien trouver un défaut à cette jeune femme si parfaite, ainsi qu'un moteur à un film finalement sans grand contenu. Le film est si bien découpé, si bien rangé pourrait-on dire que le style de réalisation de Trier (et de style, Trier n'en possède pas vraiment) change de tempo et parfois d'esthétique selon les moments. Pour le meilleur, une belle séquence de fuite éperdue dans un Oslo suspendu (et encore une fois, Trier filme sa ville d'une façon merveilleuse), où tout s'arrête et se fige comme si quelqu'un avait appuyé sur "pause", à l'exception de Julie qui court vers un nouvel amoureux. Pour le pire, une scène de séparation qui cherche à s'emballer toute seule en mimant un style Cassavetes tremblotant, caméra à l'épaule et personnages gesticulant dans tous les coins. Il y aura aussi une scène de bad trip sous champis, dans un style néo-psychédélique qu'on n'avait plus vu depuis longtemps mais aussi, quand même, de grands moments.


Aussi la belle séquence entre Julie et Eivind dans une fête de mariage sur le mode "on se séduit à fond mais on n'y va pas, car on est fidèles à nos légitimes", qui culmine dans une irrésistible scène où chacun regarde l'autre pisser. Avec certains moments qu'auraient pu filmer le jeune Carax, en son temps.

Le film porte en lui un désir si profond de dramaturgie qu'il finit par se pendre à la corde du mélodrame qu'il s'échinait en secret à tendre derrière notre dos (la maladie et la mort de son ex) qui finit par résoudre, tout comme sa fausse couche qui survient simultanément au décès d' Aksel, tous les atermoiements de notre héroïne. A ne pas pouvoir choisir entre Eivind et Aksel aussi bien qu'entre vouloir un enfant ou pas, rester ou partir, le hasard qui parfois fait très bien les choses tranchera à la place de sa perpétuelle indécision.

J'ai croisé quelque part un article moquant le côté Bridget Jones intello de cette chronique douce-amère, mais j'ai plus songé quant à moi à une sorte de Monsieur Jean au féminin, à du Dupuy-Berberian d'aujourd'hui. Le coeur secret de Julie reste sans doute son histoire d'amour imparfaite (elles le sont toutes) avec Aksel, de 15 ans son ainé, dessinateur de comics underground à la Gilbert Shelton qui s'est fait un nom grâce à un personnage sans foi ni loi qui tire tout ce qui porte jupon et petite culotte. Julie, femme de son temps, assistera dans une salle de sport (bien dans son corps, bien dans sa tête donc) à la prise de bec entre une journaliste féministe très vindicative, et un peu bornée et Aksel qui essaie de faire comprendre la différence entre lui et sa créature de papier, entre ses intentions et l'agressivité sexuelle de son héros si peu respectueux des femmes.


Ici, le film met le doigt sur ce qui a changé dans nos rapports amoureux et certains de nos principes moraux en à peine dix ans. On ne peut plus être fidèle, comme Aksel, à des idées, à un personnage, à une manière de vivre. Il faut, comme Julie, changer, "bouger" tout le temps. Dans un très beau monologue, Aksel raconte à Julie comment il aimait "posséder" les objets de culture et de connaissance. Les vidéos-club, les disquaires, les bd d'occasion "pour les avoir sous la main tout le temps". Julie n'a jamais connu ça, et l'écoute alors comme une petite fille. Aksel n'aura plus à s'adapter à quelque changement que ce soit et Julie, dans l'épilogue programmé dès le début par son réalisateur si bien ordonné, aura fait le choix de vivre seule. 

Ce n'est pas la fin de l'histoire pour elle, évidemment, mais c'est la morale du film, limpide: de toute façon, on finit toujours seul(e).



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