lundi 27 décembre 2021

Le meilleur de 2021 (même si on n'a pas tout vu)

C'est un petit jeu auquel tous les cinéphiles un peu fragiles dans leur tête aiment se plier: faire des listes, dresser des palmarès, décerner des prix, des blâmes et des accessits. En attendant qu'un directeur de festival avisé me propose de présider un jury (Venise, Berlin, Cannes, Toronto ou Locarno, c'est comme vous voulez, les gens), voici donc mon récapitulage* de l'année de merde qui s'achève (après 2020 qui n'était pas belle non plus, et en attendant la prochaine qui va vous faire rendre votre repas de réveillon). Année de merde oui, mais pas au cinéma, ni en librairie, ni dans mon canapé car tant qu'il y aura du cinéma, de la littérature et de la bonne musique, tout ira.

10 films pour le meilleur, et pour le pire pour certains, et j'espère vivement que vous pousserez des cris en la découvrant (eh ouai, il y a le Dumont et le Verhoeven dedans !)


On ne savait pas où le placer mais on tenait à le mettre, de drôles de zigs from Switzerland, les frères Zürcher, nous ont proposé LA JEUNE FILLE ET L'ARAIGNEE, sorte de marivaudage sur deux jours et une nuit avec déménagement et crémaillère pour fêter ça, où ça va couchailler un peu, se regarder de travers pas mal. Les rapports entre les personnages sont assez flous, il y a peut-être eu une histoire entre celle-ci et celle-là, la maman de Machine fait du frotti-frotta avec le gentil monsieur venu faire le bricolage, et le garçon timide venu pour draguer Truque va se retrouver dans le plumard d'une autre, puis de son étrange copine à qui elle ressemble beaucoup.

En sortant de la salle, on ne savait pas trop avec certitude ce qu'on avait vu, sans doute un genre de Rohmer déviant, de CUISINE ET DEPENDANCES intello. Mais l'héroïne principale, drôle de fille dont on ne saura pas si elle était plus active que passive, plus empathique qu'un peu cruelle, avait dessiné le plan de l'appartement de cette copine qui s'en va. Ce qu'elle avait surtout aimé, c'est lorsque son logiciel d'architecture avait buggé et rendu une impression bordélique. L'araignée qu'elle avait au plafond venait donc de se matérialiser... En tout cas, on a beaucoup ri devant ce film bizarre (et d'un rire d'une nature inédite, ce qui n'est pas rien).


2021 aura été l'année Ryusuke Hamaguchi. Non content d'avoir écrit le dernier film de Kurosawa (voir plus loin), il est aussi revenu de Cannes avec un Prix du Scénario pas volé. On le sait depuis ASAKO et SENSES, le bougre sait écrire et se montrer d'une sensibilité rare envers ses personnages. Adapté d'une nouvelle de Haruki Murakami, DRIVE MY CAR déploie ses plus de 3 heures (Hamaguchi ne sait pas faire court) autour d'un metteur en scène de théâtre venu animer un atelier pas banal: monter une pièce de Tchékhov avec une troupe de comédiens de nationalités différentes, dont une sourde-muette. Comme on lui colle une chauffeuse pour son séjour, jeune fille taiseuse au comportement assez frustre, et que lui-même se traine un veuvage tout récent avec des questions pleins la tête, il suffira de faire tremper tout ça dans le révélateur tchékhovien et de bien secouer au gré des rencontres et des quiproquos.

Si le film a littéralement emballé son monde, c'est qu'au petit jeu des correspondances invisibles, Hamaguchi est incontestablement un champion. On notera qu'il est quand même loin le temps où les cinéastes japonais semblaient dépourvus de coeur car son truc, à Hamaguchi, c'est incontestablement l'empathie.


Au Japon toujours, mais sous un oeil européen cette fois, Arthur Harari nous raconte l'incroyable épopée de Hiroo Onoda, cet officier de l'armée nippone qui refusa de croire 29 ans durant que son pays avait capitulé, seul sur une île au large des Philippines. L'histoire est célèbre et ne relève pas du cas isolé, et si elle peut prêter à sourire, ONODA nous confronte à ce que fut vraiment la vie de cet homme (une mission de survie qui n'en finit plus), corseté dans un code de l'honneur absurde et des ordres qui rendraient fou n'importe qui; ne pas se rendre, ne pas mourir.

Rares bols d'air, si j'ose dire, dans cet enfermement à ciel ouvert, des flash-backs saisissants nous montrent le jeune officier Onoda dans son milieu familial (une figure paternelle terrible) et lors de ses classes où l'on assiste à une sorte de dressage en règle. Reste que Harari avec son style d'une belle pureté classique, est une des plus belles promesses du cinéma d'cheu nous. C'est dit.


Depuis que Bruno Dumont a fait accoucher des clones extra-terrestres par le cul, fait incarner des flics par des handicapés mentaux et propulser Jeanne d'Arc dans les nuages sur des riffs de metal, je suis à genoux devant lui. Quand il revient, - façon de parler - à un genre de cinéma mainstream, c'est pour nous offrir en spectacle cette FRANCE, star du journalisme TV avec ses faux interviews concernés, ses débats à la gomme, ses vrais-faux reportages dans le feu de l'action qui saisissent d'émotion dans les chaumières, son garde-robe insensé, sa responsable de comm vulgaire, son époux baireau, son apart dément.

Dumont, y aller de main morte, prendre des pincettes tout ça, ça ne l'intéresse pas beaucoup. Un peu comme dans la comédie italienne d'antan, les riches sont très riches et vulgaires, et les pauvres très pauvres et complètement cons. Et pourtant, - et ça c'est Dumont -, on ne sait pas trop par quel côté il nous attrape pour que l'émotion nous prenne au final. Que tout cela sonne si vrai alors que tout est complètement toc devrait nous renseigner sur l'état où nous nous trouvons. Vite, un xanax !


Comme on s'est réjoui de voir à quel point le dernier Verhoeven avait déplu, outré, fait ricané. Toujours vert, notre Batave préféré nous refait le coup de SHOW GIRLS mais chez les nonnes cette fois. Les bonnes âmes s'offusquent, les cinéphiles pointus vous expliquent que le vieux gaga tourne en rond... et dans 20 ans il crieront au miracle. Verhoeven y va à fond: amours saphiques, syphillis, gode taillé dans une statuette de la vierge, on se torche à la paille et le nonce de Florence fait de ces sous-entendus comme s'il se trouvait dans un bordel.

Peu de raison au sein de l'Eglise Catholique de cette époque, mais un sens du grand spectacle affirmé: apparitions de la Vierge, stigmates sanglants et vociférations bave aux lèvres, BENEDETTA se donne à fond et si ce n'est pas pour son avènement personnel c'est peut-être, allez savoir, pour attirer l'attention et l'amour du Christ sur elle. Tout fait miracle ! Cela, Verhoeven doit s'en foutre un peu mais, maître du spectaculaire et des illusions lui-même il se penche sur un sérieux concurrent, le religieux, l'église, qui en a à lui remontrer. Et vous comprendrez pourquoi, une fois de plus, les bonnes gens sont sortis de là en se pinçant le nez. Bravo mon Paulo.


Mais foin de ces réalisateurs sans pitié qui saccagent nos dernières illusions sur la nature humaine, car il y a eu aussi des films comme ce COMPARTIMENT N°6 dont la petite musique facile, et son final attendrissant nous poursuivront un moment. Le film est simple comme bonjour, il s'agit de la rencontre forcée lors d'un Moscou-Moumansk ferroviaire de plusieurs jours entre une étudiante finlandaise et un jeune russe bien lourdaud mais au coeur gros comme ça. C'est tout ? C'est tout. Il faut voir comment Juho Kuosmanen se débarrasse en un tour de main de tous les clichés et de toutes les barrières sociales, sexuelles ou linguistiques pour vous prouver qu'entre deux êtres que rien n'empêche et sont ouverts à tout peut naitre une belle histoire comme celle-là.

Dressés comme nous le sommes à nous méfier de tout le monde et à nous ranger dans des cases (homo/hétéro, éduqué/pas éduqué, prolo/intello, russe/finlandais et j'en passe), il est quand même anormal qu'on se retrouve surpris face à ces deux jeunes personnes qui nous les jettent à la figure sans en faire toute une histoire. Et voilà comment, parfois, le cinéma nous remet les yeux en face des trous.


Un que la sophistication n'a jamais effrayé, c'est l'immense Kiyoshi Kurosawa (pour moi un des plus grands cinéastes du monde) qui s'est offert avec LES AMANTS SACRIFIES, sur un magnifique scénario de Ryusuke Hamaguchi un grand film historique en même temps que l'histoire d'amour la plus retorse vue à l'écran depuis longtemps. Le film nous parle autant de l'histoire honteuse du Japon de Hiro-Hito (les expériences médicales affreuses effectuées en Mandchourie par l'armée d'occupation) que du jeu du chat et de la souris auquel va se livrer un couple pour livrer cette vérité à l'Occident, et se protéger l'un l'autre par le mensonge et la trahison.

C'est un film qui peaufine tous les rouages et chausse-trappes du roman d'espionnage traditionnel en les confinant dans le cadre étriqué de la vie de couple, d' une scène de ménage inventée de toute pièce où chaque coup tordu est une preuve d'amour supplémentaire. Mise-en-scène géniale qui nous fait croire qu'on se trouve dans un David Lean alors que sa construction toute de vice conçue renvoie aux plus belles réussites du réalisateur de CURE. Kurosawa possède décidément cette virtuosité qui, à chaque fois, me laisse pantois.


Une qu'on n'attendait pas aussi haut, c'est bien Mia Hansen-Love. Son BERGMAN ISLAND est un conte de cinéma pour cinéphile peut-être, - ce qui est sans doute sa limite -, mais c'est surtout une splendide réflexion sur la création artistique comme moteur à la vie amoureuse, et réciproquement. Là où la cinéaste étonne, elle qu'on voyait se perdre dans des exercices trop germanopratins d'admiration artistique et d'émois pour jeunes filles amoureuses, c'est lorsqu'elle ose cet exercice de haute voltige qui consiste à insérer à cette histoire de couple en quête d'inspiration sur l'île de Farö des personnages qui prennent corps dans ces mêmes lieux, alors qu'ils ne sont que de papier, pas encore de pellicule, mais déjà là, prêts à se mélanger avec eux.

Cette île qui donne son titre au film n'est pas un simple décor un peu chichiteux. De voir ce travail d'imagination à l'oeuvre sur une terre qui inspira tellement un des cinéastes les plus inspirants du monde offre une sorte de vertige que Mia Hansen-Love parvient à rendre d'une manière presque miraculeuse. L'ombre d'un Maître, deux créateurs au travail et le fruit de leur imagination se mélangeant sous nos yeux... un genre de rêve de cinéma rarement aperçu. Et avec ces quatre comédiens-là, en plus...


Avec justement ici encore la grandiose Vicky Krieps qui fut celle, souvenez-vous, qui rabattait son caquet à ce grand cigare de Daniel Day-Lewis dans PHANTOM THREAD. On la retrouve dans le dernier film de Mathieu Amalric, ce SERRE-MOI FORT qui m'a littéralement pris par surprise, et cloué sur place. Adeptes de voltige aérienne et de narration acrobatique, mettez votre casque, car le pétillant Amalric m'a tout l'air, après les brillantes volutes de son BARBARA qui nous baladait entre documentaire, rêverie, fiction et autre chose, de vouloir rajouter une lettre à notre alphabet. 

On sort de son film essoré, littéralement. Lorsqu'on comprend le noeud de l'affaire, au tiers du film environ, on se dit que quand même, il n'a pas osé faire ça. Eh bien si. Cette déconstruction inédite, ce bouleversement de perspective qui nous aura empêché de comprendre l'atrocité du drame qui s'est joué hors cadre, ça n'est pas une coquetterie de scénariste narquois qui aurait eu envie de "prendre" son public comme on piège une bestiole, mais la seule manière de nous faire entrer dans la tête de cette femme qui n'a trouvé que cette parade, ce filtre posé sur le visage hideux de la réalité, pour ne pas devenir folle. Ce film m'a sonné.


Comme l'an dernier où je décernais ma palme au merveilleux EVA EN AOUT de Jonas Trueba, mon film de 2021 ne sera que calme, douceur et fragilité. Il est l'oeuvre d'une cinéaste que j'adore, Kelly Reichardt, qui ne croit ni au bruit ni à la fureur, s'intéresse peu aux coups de pétoire et au cul encore moins. Et pourtant, elle est la plus américaine des cinéastes américains, qui réinvente dans chacun de ces films cette fameuse Americana que d'autres, sur un mode plus viriliste ou country se sont appropriés. Car FIRST COW est un western, mine de rien. Trappeurs hirsutes, gueules cassées, premiers colons, mais au centre de cette histoire qui tiendrait en un paragraphe ou presque se trouvent Cookie (le génial John Magaro avec son visage d'enfant triste) qui comme son nom l'indique est cuistot, son pote de fortune King-Lu et une vache, l'unique vache à lait du comté que possède un riche colon anglais.

Kelly Reichardt se fiche de la nature de la relation entre les deux amis, c'était déjà le cas dans son très beau CERTAINES FEMMES entre Lily Gladstone et Kirsten Stewart, ou entre les deux potes en goguette dans le parc de Yellowstone dans OLD JOY, comme de filmer un meurtre ne l'intéresse pas non plus (pour une fois dans un de ses films, la mort sera au rendez-vous, mais signalée dès le début, en douceur). Tout comme elle a l'air de filmer comme un jeu les menus larcins des deux compères, (ils traient la vache à la nuit tombée), Kelly Reichardt nous offre la plus belle parabole du Rêve Américain et de son pendant matérialiste, le capitalisme et le droit sacré à la propriété, avec une fable de macro-économie laitière claire comme de l'eau de roche, délicieuse comme un des beignets au lait de vache de Cookie.

Mince, vous aurais-je raconté tout le film ? P'têt bien mais vous n'aurez rien vu. Kelly Reichardt possède ce talent rarissime de savoir filmer l'air, l'eau, la pluie, de faire entendre le courant d'un ruisseau, de surprendre des gestes insignifiants, des échanges de regards mystérieux, de drôles de moments suspendus que d'autres jugeraient inutiles mais qu'elle garde quand même parce qu'ils recèlent tout ce qu'il y a à savoir. C'est un cinéma complètement out selon les règles et logiques en vigueur aujourd'hui et ce n'est pas surprenant si je ne suis pas le seul aujourd'hui à porter le magnifique FIRST COW tout en haut. Ce cinéma-là, on en aura de plus en plus besoin.

A l'avenir !




(* récapitulage, oui, parfaitement).




 1. FIRST COW de Kelly Reichardt

https://www.youtube.com/watch?v=azPKs6U02PE 

2. SERRE-MOI FORT de Mathieu Amalric

https://www.youtube.com/watch?v=AnaRUenbjwk

3. BERGMAN ISLAND de Mia Hansen-Love

https://www.youtube.com/watch?v=PU3fYFP-o-w

4. LES AMANTS SACRIFIES de Kiyoshi Kurosawa

https://www.youtube.com/watch?v=dL4LB8Zy8AY

5. COMPARTIMENT N°6 de Juho Kuosmanen

https://www.youtube.com/watch?v=tcQioQG78RE

6. BENEDETTA de Paul Verhoeven

https://www.youtube.com/watch?v=WG-hIVwk16w

7. FRANCE de Bruno Dumont

https://www.youtube.com/watch?v=416RC8btwd4

8. ONODA, 10000 NUITS DANS LA JUNGLE d'Arthur Harari

https://www.youtube.com/watch?v=h8Gg7GzkBgs

9. DRIVE MY CAR de Ryusuke Hamaguchi

https://www.youtube.com/watch?v=dVLC8Wn9QMo

10. LA JEUNE FILLE ET L'ARAIGNEE de Ramon & Silvan Zürcher

https://www.youtube.com/watch?v=OGXBNXk_pUE

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