samedi 4 décembre 2021

La pièce rapportée (des ultra-riches gaussons-nous donc un peu, que diable).

 



Au pays de Dany Boon et de Gad Elmaleh, nous avons aussi Antonin Pertjako. Ouf. Adepte d'un comique de situation qui trouve sa source dans la caricature sociologique toute droit sortie d'une bande-dessinée, Pertjako serait peut-être, pourquoi pas, au croisement incertain de l'humour tarte-à-la-crème signé Gotlib et du comique  franchouillard qui n'a peur de rien. Où qu'on le place au coeur de ce prisme incertain une chose reste certaine: son cinéma colle la patate.

Cinq ans après La loi de la jungle qui réactivait le film d'aventure à la Philippe de Broca en mode ultra-speedé et très idiot, La pièce rapportée nous arrive tout pimpant en remettant direct ses gros sabots dans le plat. Il faut être bien installé et ne pas avoir peur lors de la première scène (une chasse au sanglier avec gilets jaunes abattus dans le dos), ne pas s'enfuir en courant car la suite sera bien meilleure. 


Cette pièce rapportée ce sera donc Ava (Anaïs Demoustier, fraîche comme une première fleur de printemps, comme à son habitude), jeune fille de rien dont tombe amoureux Paul Château-Têtard (Philippe Katerine), héritier d'une richissime dynastie qui a fait son beurre pendant l'Occupation, a fait affaire un temps avec Pinochet, et qui sabre le champagne à l'annonce de la fin de l'impôt sur les grosses fortunes au Journal Officiel. Paul est un gentil garçon qui s'amuse beaucoup avec ses jeux sur son smartphone, sèche les conseils d'administration, et demeure à son âge sous la coupe d'une mère pas commode (Josiane Balasko, impériale).


Quand le gentil Paul manque sa correspondance à cause d'une grève de taxis ("on nous prend en otages !" couine-t-il), il appelle sa mère en villégiature à Antibes: "Maman, j'ai raté l'avion." et vlan, premier fou-rire, sans crier gare. On ne dira jamais assez combien la mécanique du rire peut être d'une sophistication insensée, autant qu'elle répond à la réflexologie nerveuse la plus débile. Pertjako sait fonctionner sur ces deux tableaux, il faut voir cette séquence inouïe où les personnages discutent alors qu'en toile de fond, sur un poste de télévision, on suit l'interview hilarante d'une contrôleur de la RATP très typé reubeu se faire interviewer après avoir neutralisé un poseur de bombe dans le métro et désactivé lui-même le système d'allumage, et s'énerver parce que le journaliste ne comprend pas comment il a pu savoir s'y prendre pour désamorcer une bombe. On se croirait presque chez Blake Edwards.

L'air de rien, la comédie à la mode Pertjako érafle beaucoup de choses. Ce monde des ultra-riches, il ne l'épargne en rien et fait feu de tout bois. On y parle de ruissellement, d'Etat providence, de fiscalité évasive, de dictatures qui s'arrangent bien avec l'entreprenariat (on appelle ça: la liberté), de génétique avantageuse des riches et de génétique désastreuse des pauvres, on préfère ne pas parler des gilets jaunes ni des gens de couleur (deux candidats noirs à l'embauche invités à virer de là vite fait), et maman songe un temps faire interner sa bru parce qu'elle ne lui revient vraiment pas. La France éternelle est toujours bien là.


Les contours politiques de La pièce rapportée ne prêtent vraiment pas à confusion: la charge est tellement outrancière qu'elle met en plein dedans. C'est la fameuse chasse à l'éléphant coincé dans un couloir; tiré au bazooka. La caricature était immanquable, elle crève les yeux, elle était déjà là. Une fois ceci constaté, il faut voir combien Pertjako semble traiter par dessus la jambe le volet vaudeville de son histoire. Détective privé aux trousses de la jolie Ava, adultère dans les grands hôtels, quiproquos champêtres pour finir à poil dans un étui à violoncelle, le tout rythmé par une foule de détails récurrents qui n'ont rien à faire là (cette sportive omniprésente dans le parc de Bagatelle qui n'arrête pas de faire ses étirements au fond du plan), autant dire que le cinéaste se moque éperdument que le scénario soit aussi bien huilé que son sens du cadrage et du rythme. 


Blake Edwards toujours: mieux vaut sacrifier un film tout entier plutôt que manquer un bon gag, un peu comme on peut foutre en l'air tout un discours pour un seul bon mot. A cette époque d'efficience exigée et de rentabilité quoi qu'il en coûte, saluons le style pétaradant de Pertjako, son sens du rythme, sa haute moralité politique, sa direction d'acteurs - tous excellents - malgré ces défauts visibles comme son nez de clown au milieu de la figure et sans doute, aussi, un peu grâce à ça.

En cette période de morne grisaille et de stupidité pré-électorale généralisée disons-le tout net: c'était bien le film qu'il fallait pour remonter (un peu) la pente, le moral, enfin tout ça, quoi.

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