jeudi 9 décembre 2021

Compartiment n°6, drôle d'endroit pour une rencontre.

 



Il fallait bien un bouche-à-oreille flatteur pour que je me décide à aller jeter un oeil à ce Compartiment n°6 puisque j'avais trouvé certes sympathique le précédent film de Juho Kuosmanen (et premier long-métrage) Olli Mäki, sans que cela ne me tourneboule non plus. Mais il y avait déjà dans cette fable aigre-douce, - l'histoire d'un boxeur qui préférait vivre son grand amour plutôt que de tout sacrifier à son sport - quelque chose qui me parlait bien: l'amour plutôt que la gloire, la vie plutôt que la soif de vaincre.

Adapté d'un roman de Rosa Liksom, Compartiment n°6 se passe effectivement dans ses deux bons tiers à bord d'un train qui emmène son héroïne de Moscou à Mourmansk, direction plein Nord, où se trouvent de fameux pétroglyphes que cette étudiante en archéologie rêve de voir. Merveilleux exercice de style que d'enfermer un film dans un train, on le sait depuis certains films de Hitchcock, Kawalerowicz ou Fritz Lang. 

Le voyage commence mal: on colle Laura qui a déjà un peu le bourdon d'avoir du abandonner son amoureuse, avec un jeune type bourré aux allusions pas bien finaudes et au langage corporel quelque peu agressif. La cheffe de wagon n'a pas l'air bien aimable non plus bref: tout cela s'annonce pénible.

On le voit arriver de loin et cela arrive vite: ces deux-là, finalement vont vite apprendre à se connaitre, à s'apprécier, et au-delà. Le franc-parler sans filtre de Ljoha tout comme sa gentillesse d'éternel gamin finiront par toucher l'étudiante finlandaise qui ne mettra pas longtemps à cesser de se moquer du manque de jugeotte et de culture de son compagnon. Si les voyages ont de tout temps avivé certains dictons aux vérités plus ou moins fondamentales, on pourra bien les égrainer ici: ils forment la jeunesse c'est vrai, ce qui compte ce n'est pas le but mais tout ce qui se passe pendant, c'est en vivant ensemble de mêmes événements qu'on apprend à se connaitre, mais bien sûr, tout cela est entendu.


Il y aura bien un imbécile un peu imbu de lui-même dans ce salon moscovite, au tout début du film, où se déroule une fête bien arrosée et où cela balance de la citation littéraire à tout-va, pour prétendre que ce qui importe dans le voyage, c'est le départ. Tout comme la copine russe de Laura, qui semble l'oublier de plus en plus au fil des kilomètres qui les séparent, ce cénacle d'"amis" en tous genres aura vite fait de ne plus faire le poids contre les résolutions fermes et toujours terre-à-terre de Ljoha, son don de soi sans calcul. 

Compartiment n°6 attire immédiatement la sympathie parce qu'il se joue des clichés et des a-priori, notamment sur ces russes aux haleines alcoolisées, aux mauvaises manières et aux trognes échappées du bagne: la babouchka qui picole dans sa petite barraque est une femme très drôle et chaleureuse, deux types qui fabriquent de la vodka dans leur garage vous refilent deux bouteilles juste pour faire plaisir, et le touriste finlandais qu'ils croisent, avec sa bonne bouille de premier de la classe et sa guitare en bandoulière est en réalité un petit bâtard.


C'est un feel-good movie, si on veut, mais où est le problème ? Même cette fin, si drôle et si triste, absolument superbe, dont on se demande comment elle va arriver (car on la voit venir) témoigne de toute l'attention portée par le cinéaste à ses personnages, comme de l'affection que ces deux-là se porteront, - on le pense sincèrement - jusqu'à la fin de leurs jours.




C'est ce qu'on demande à un film même lorsqu'il semble ne jamais sortir de ses rails: des scènes comme celle de l'étreinte entre Laura et Ljoha qu'on attendait pas comme ça, ou cette tempête qui arrive avec eux qui s'amusent comme des enfants dans les bourrasques. Avec ces deux comédiens "au naturel" qui touchent vraiment juste, Seidi Harlaa et Yuriy Borisov, et un auteur qui se débarrasse vite de toute tentation cynique (le cynisme était bien dans l'oeil de Laura en découvrant Ljoha mais cette lueur disparaitra bien vite, abandonnée dans les salons intellos de Moscou) on finit par se dire qu'un film comme ça, qui fait autant de bien sans user des grosses ficelles habituelles, on n'en avait pas vu depuis longtemps.

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