mercredi 22 décembre 2021

Le Diable n'existe pas (et Dieu regarde ailleurs).

 


Et si le diable n'existe pas, une question ne se pose pas un seul instant au pays des ayatollahs, du voile obligatoire et des milices coraniques: Dieu existe-t-il ? C'est, en creux, ce que l'on pourrait se demander devant le dernier film de Mohammad Rasoulof, lui-même assez peu en odeur de sainteté dans son pays: ses films sont invisibles en Iran où il a d'ailleurs  écopé d'une peine de 6 années de prison (il en a fait une), ce qui a fait de lui à l'instar de son collègue Jafar Panahi, un réalisateur-star à l'internationale.

Fêté au Festival de Berlin en 2020 où il a décroché l'Ours suprême, Le Diable n'existe pas nous raconte sous la forme de quatre histoires indépendantes quatre destins bouleversées, quatre vies assassinées pourrait-on même dire par la peine de mort, toujours en vigueur dans le pays. On savait après avoir vu cette année le très noir La loi de Téhéran qu'on y exécutait les criminels à la chaîne là-bas, par pendaison, bien souvent sous la forme d'exécutions collectives selon une mécanique pour le moins glaçante et impersonnelle: un levier à activer et ce sont dix cous qui se brisent en même temps.


Le premier segment du film raconte d'ailleurs cela, selon un cheminement qu'on ne voit pas vraiment arriver. Au passage, on ne dira jamais combien ne rien savoir d'un film avant de le voir reste un bienfait: quand on découvre que ce brave père de famille aimant et attentionné, un brin nounours sur les bords qu'on vient de suivre dans son train-train familial travaille comme bourreau à la prison centrale (quatre exécutés dont on n'apercevra que les pieds qui se secouent dans le vide, jets de pisse et ultimes convulsions), c'est un seau d'eau glacée qui nous tombe sur le coin de la figure.


Ce premier film dans le film, proche cousin du fameux Tu ne tueras point de Kieslowski, n'est en rien aussi surprenant et horrible que ce qu'on nous apprend dans les trois films suivants, à savoir que les jeunes conscrits (21 mois de service militaire obligatoire) peuvent tous, sans exception, être un jour appelés pour exécuter un condamné. Une démocratisation, en quelques sortes, de la tâche la plus horrible du monde, qui renforce au passage ce que nous savons déjà  de la nature humaine, à savoir que nous pouvons toutes et tous être dressés à la caresse comme à la baguette pour exécuter les basses oeuvres de pouvoirs qui ne veulent pas se salir les mains. Un criminel pendu = trois jours de perm' offerts ! Un refus d'obtempérer = temps de conscription doublé !


Les trois films suivants explorent avec pas mal d'ingéniosité scénaristique et un sens du mélodrame bien ajusté ce mécanisme terrible qui élève en son sein de véritables assassins. On refuse de s'y plier et on fout en l'air toute sa vie future, on déserte la caserne et on finit ses jours comme un paria, on obéit et la culpabilité vous revient comme un boomerang en pleine figure. C'est le troisième segment du film, le plus tiré par les cheveux et le plus sentimental sans doute, qui a toutefois la bonne idée de confronter conscience politique et grands sentiments au détriment des seconds, faisant sortir les personnages d'un système honni avec la conscience de porter ce fardeau toute leur vie plutôt que de ployer l'échine: nul doute qu'au vu du parcours de Mohammad Rasoulof, cela tient pour lui de la profession de foi.


Quoi qu'on pense des qualités formelles du film, de ses temps un peu bavards, de ses manières un peu désagréables de faire jouer le suspense sur la révélation des petits secrets des personnages, de jouer sur nos attentes en même temps qu'il cherche le meilleur angle d'attaque pour nous émouvoir de tous ces malheurs, on admettra tout de même que cela fait deux fois cette année, après La loi de Téhéran et ses millions de camés, que le cinéma iranien n'y va plus par quatre chemins ni circonvolutions ouatées pour nous révéler la misère morale de ce pays de cinglés, peuplé de gens admirables.

Quant à savoir si Dieu existe, on n'en saura toujours rien. Le Diable, lui, qui travaille sans cesse a faire croire qu'il n'existe pas comme chacun le sait, Mohammad Rasoulof lui donne un nom à défaut d'un visage, sans jamais le nommer, ce même état islamique d'Iran qui ne veut plus que le cinéaste travaille en son nom, ni le voir en peinture. Pour un artiste il s'agit là, au moins, plus qu'une consécration, d'une belle victoire morale.

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