mercredi 23 septembre 2020

Tout le monde il est beau, tout le monde il est happy.

 


Pouf pouf, rions un peu avec Michael Haneke, si tu le veux.

 Plutôt fraîchement accueilli à Cannes en 2017 d'où il repartit bredouille, chose rare pour un film de l'Autrichien, et en partie boudé par une critique qui n'avait vu dans HAPPY END qu' une sorte de radotage, le film mérite peut-être mieux que sa réputation de "paraphe" griffonné en bas d'une oeuvre qui s'est fort bien occupé, des années durant, à briser nos rêves et à nous mettre en face d' une bien sinistre bestiole, droit dans les yeux: nous-mêmes.

HAPPY END a tout de même l'audace de nous proposer une sorte de "greatest hits" du malaisant réalisateur de BENNY'S VIDEO en convoquant des figures déjà aperçues ailleurs, sous d'autres visages. Ainsi, le personnage du doyen qui a envie d'en finir avec la vie pourrait être ce même Trintignant abandonné fraîchement veuf à la fin d'AMOUR. Isabelle Huppert est un peu la même cheffe de famille "à poigne" qui régissait l'équilibre du foyer dans BENNY'S VIDEO jusqu'à faire disparaitre les cadavres dans les placards. L'excellent Kassovitz, quant à lui, est un petit cousin taré de l'héroïne dérangée de LA PIANISTE. Même la si jolie et toute douce Fantine Harduin incarne, du haut de ses 12 ans, la figure innocente mais criminelle qui porte en germe celle des deux tueurs sadiques de FUNNY GAMES.



Ce petit inventaire étant fait, on retiendra surtout que lorsque Haneke opère dans le champ du film "choral", comme l'étaient ses 71 FRAGMENTS ou, d'une certaine manière, LE RUBAN BLANC, la compilation de tant de méchants travers et de pathologies lourdes conduit à percevoir le film comme une accumulation de petits films à sketchs, chaque personnage étant un spectacle à lui seul. L'accumulation de toutes ses singularités outrancières précipite le film, bizarrement, vers la comédie grinçante. Comme chez les frères Cohen...

Construire un pont entre les facétieux frangins et la rigueur cynique de Haneke n'est certes pas usuel mais, ici, cela crèverait presque les yeux. Quand le cinéaste s'extraie de ses systèmes à huis-clos où tout le monde étouffe, personnages comme spectateurs (dans LA PIANISTE, FUNNY GAMES, AMOUR ou CODE INCONNU, la majorité de ses films, en fait), laisser filer tous ces petits et vrais monstres en toute liberté, et dans le même espace, offre tout de suite un spectacle tour à tour gênant, et désolant. Comme chez Altman, roi sans vassal de la comédie chorale virtuose et misanthrope (dont NASHVILLE et SHORT CUTS restent à jamais les modèles), on attend que certains personnages se croisent , en vue d'un déraillement qui s'annoncerait saignant.

De manière surprenante, rien ne déraille pourtant car la vie est ici délimitée par un cadre qui ne souffre aucun chambardement: l'objet clinique de HAPPY END, le sujet d'observation ici est un bloc familial inamovible, imperturbable à l'intérieur duquel il peut bien se jouer mille et une atrocités: elles y resteront, bien sauvegardées par la rigueur bourgeoise dont la réussite tient, avant tout, à la préservation de ses secrets. Haneke en définit chaque membre par un trait, ou un événement, qui le définit mieux que tout: celui-là devient gâteux, et vient d'essayer de se suicider. Celle-ci a d'abord testé les médocs sur son hamster avant d'empoisonner sa mère. Celui-là entretient une liaison adultère violente avec une femme qui aime être humiliée. Celle-là intimide les employés de son entreprise victimes d'un accident de chantier. Celui-là travaille comme avocat pour une firme qui cherche à faire plier les syndicats. Celui-là cherche des excuses à son chien qui vient de mordre sa petite fille. 


On a souvent dit de Haneke qu'il avait su pointer du doigt les travers d'une société, la sienne, la société autrichienne et allemande, via ses portraits de personnages déviants qui n'avaient pas su faire un trait sur de vieilles histoires et passaient leur temps à enfouir leurs angoisses sous le tapis. C'était d'une manière symbolique la figure psychotique poursuivie par sa mère de LA PIANISTE de Jelinek ou, de manière encore plus évidente, le portrait glaçant d'une communauté prête à s'enfouir dans les bras du Mal absolu pour rester unie (LE RUBAN BLANC). On n'a pas souvent dit qu'il était aussi celui qui avait le mieux montré les vilénies d'une bourgeoisie très française: c'est la deuxième fois, après CACHE, qu'il montre la pourriture de cette caste surprotégée par son argent, et qui se protège à la première alerte en frappant à tour de bras sur ceux qui les dérangent (y compris les siens, voir comment Huppert "éteint" son propre fils et ses velléités de rébellion pour ne pas perdre la face).

Haneke est AUSSI un cinéaste français d'adoption, c'est ce que beaucoup, par ici, ont peut-être tenté d'oublier de ce HAPPY END. Ce qu'il démontre ici rejoint pourtant les analyses récentes, et systématiquement brocardées sur les plateaux télé où se succèdent les "experts", nouvelle caste dominante du paysage médiatique, analyses qui démontrent combien le mouvement des gilets jaunes est discrédité par les médias, et violemment réprimé, parce qu'il inquiète les habitants des riches arrondissements de Paris. 

Pour un dernier tour de chauffe, on aimerait que le regard sans pitié, ni concession, de ce diable d' homme se penche un peu sur la question, via quelques portraits de journalistes, de manifestants, d'"experts" et de leurs éminences noires bien sentis, comme il sait si bien le faire. Je doute qu'il raterait sa cible même si, c'est là que la bât blesse, il reste un grand bourgeois lui-même. 




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