vendredi 11 septembre 2020

Dans la tête de Charlie Kaufman (il y a du monde).

 


Finalement, c'est peut-être vrai que neteuflixeu lâche la bride au cou des cinéastes ambitieux en mal de producteurs... JE VEUX JUSTE EN FINIR est sans doute le projet le plus barré de la chaîne à péage depuis UNCUT GEMS de ces fifous de frères Safdie. Un scénario des plus emporté, des disgressions à n'en plus pouvoir, un script qui fait joujou entre l'esthétique yoyo-pâte molle du grand frère Michel Gondry et les échappées chelous de David Lynch manière MULHOLLAND DRIVE, mais avec plus de couleurs.

Ambitieux, mais un poil raté quand même, JE VEUX JUSTE EN FINIR est rattrapé par ce qui pourrait être un "cahier des charges" Neteuflixeu, avec une esthétique de joli jouet chipé dans une chouette vitrine avec la neige qui tombe d'en haut, pour de faux. Je n'ai jamais été un grand admirateur de Charlie Kaufman, même si son imagination et son sens de l'a-propos coq-à-l'âne permanent, sorte de magasin idéal, et sans fond, auquel tout bon psychanalyste ne saurait résister, est à même de susciter une réelle admiration.

 Toujours en surcharge, jamais en panne d'idée, continuellement à l'affût du moindre rebond, et en trouvant toujours (des idées, des rebondissements), il ne peut arriver, au bout, que ce qui était programmé: on arrive au terme de ces 2h20 absolument exténué. Faut-il ajouter à cela que ce n'est pas un hasard si un de ses plus grands succès en tant que scénariste, DANS LA PEAU DE JOHN MALKOVICH, trouvait son rythme à l'intérieur de l'enveloppe charnelle du comédien le plus épuisant de son époque, le plus effréné ? (j'entends par là: dont les freins ont lâché)

Le grand motif des histoires de Charlie Kaufman demeure, il ne s'en est jamais caché, la dépression.  C'est pourquoi sans doute, son film d'animation ANOMALISA, qui ne parlait que de ça, et sans détour, reste à mon avis sa meilleure réalisation à ce jour. La grande histoire de son petit dernier c'est, non pas les premières semaines d'une idylle qui a tout l'air de filer un mauvais coton (mademoiselle a un sale pressentiment) mais, d'une manière assez inattendue au moment où l'histoire se tord et se retourne d'une drôle de manière, le parcours d'un type qui se regarde en train de finir sa vie alors qu'il n'en est qu'au prémisses de sa plus grande histoire d'amour. 

Si ça, c'est pas déprimant...


Elle accepte de passer une soirée chez les parents de son nouveau petit ami. Elle n'a pas de prénom, lui si: il s'appelle Jake. Les parents de Jake sont deux vieux à la fois accueillants et étranges, qui semblent avoir été dérangés en pleine partie de jambe en l'air et prennent patience en attendant d'y retourner (Toni Colette et David Thewlis, absolument énormes, effrénés). Comme le film nous avait déposé d'abord dans l'habitacle de la voiture qui les emmènent vers ce dîner, cocon douillé juste inquiété par la tempête de neige qui se lève dehors, et où les deux amoureux discutent avec passion de beaucoup de choses, il avait semblé à ce moment-là (ce sont les minutes les plus belles du film, filmées comme on filmerait une bulle de savon), que l'ami Charlie Kaufman tenait enfin là son "it", sa note suprême: l'inquiétude enrobée de coton, dans un balai harmonieux d'essuies-glace, où une jolie fille récite un poème à un jeune homme anxieux sur fond de dilemmes métaphysiques et de grands questionnements sur l'amour.

Il semble que Kaufman soit, mine de rien, un petit roi à Hollywood. C'est à la fois rassurant de constater qu'il y ait des producteurs pour lui lâcher la bride, et dommage aussi qu'il n'y ait personne pour la lui serrer un peu, juste ce qu'il faut, pour l'inciter à prendre les raccourcis nécessaires ("trop de notes !", disait l'autre). Kaufman est un bavard, qui aime souligner les passages importants au stabilo. Et c'est uniquement un problème de scénario, - le comble pour un scénariste-star à Hollywood -, pas de mise-en-scène, car JE VEUX JUSTE EN FINIR est, formellement, un objet savoureux.

On notera juste ces instants de trouble dans l'espace-temps lorsque le cinéphile s'empêtre les méninges entre la référence explicite à FARGO (le Midwest sous la neige, David Thewlis et Jesse Plemons, présents dans la série), à David Lynch lors de ce final chanté et grotesque qui rappelle ses scènes de cabaret, au film d'horreur psychologique qui flirte avec le "film-cerveau" dont SHINING et BARTON FINK (les frères Cohen, encore) restent les modèles. 

Lors de ces retrouvailles sous le blizzard dans le lycée de Jake, filmé comme le motel de SHINING et dont la signification est tout aussi labyrinthique, la plus belle des rencontres se fait avec le vieil homme de ménage qui travaille, seul, dans cet établissement gigantesque propice aux fantasmes, et aux apparitions. Or, le fantasme ici n'appelle aucune intrusion de goule ou de viles jumelles tout au fond du couloir, mais une superbe séquence chorégraphiée de comédie musicale et le rappel soudain que, peut-être, cet employé vieillissant mais dévoué était, dix ans plus tôt, le personnage de vrp au bout du rouleau d' ANOMALISA , ce parangon absolu de film déprimé.

Jake a beau vouloir nous coller le bourdon avec ses larmes de petit vieux sur sa vie ratée (ratée en quoi d'ailleurs, on ne comprend pas bien), on réservera nos percées lacrymales à ce type qui passe la serpillière dans les couloirs ou à cette jeune fille, dont on ne saura jamais le prénom, qui se demandait à juste titre ce qu'elle faisait là.

Tout à coup, on comprend ce qui fait d'un déprimé un déprimé: il ne peut pas s'empêcher de se voir tout décati, à la fin. Il pleure sur son sort à l'avance. Il prévient que ça va mal tourner. Il sait que ça va mal finir. 


Et pourtant, ça avait bien commencé: cette jeune fille dont on ne saura jamais le prénom s'est accaparé la plus belle partition du film, et ses plus beaux moments. Charlie Kaufman aurait du insister sur la note JE T'AIME JE T'AIME de la première demie-heure, splendide, où les deux amoureux se livrent à quelques échanges savoureux interrompus par leurs voix intérieures qui, sans crier gare, se font entendre bien fort. Mais c'est plus fort que lui, le poème vire souvent au grand-guignol.

Un grand écrivain sait dire beaucoup de choses en peu de phrases, et Kaufman ne peut s'empêcher d'y aller fort dans l'illustration de son mal-être protéiforme (où se mêlent sans compter une enfance difficile, une scolarité harcelée, des complexes, des parents envahissants et un peu ploucs). Il en dit trop, en raconte plus qu'il ne faudrait, et son film finit par déborder de partout.

Mieux vaut trop que pas assez, sans doute, mais il est sûr que JE VEUX JUSTE EN FINIR va en dérouter plus d'un: entre ceux qui n'ont rien compris à cette histoire et les habituels admirateurs de Kaufman qui crient déjà au génie, il va être difficile d'y voir clair. Plus j'y réfléchis d'ailleurs, moi qui était parti pour désosser sans pitié son film, je me prends à penser qu'on se trouve ici devant un grand film malade. Ce qui est déjà beaucoup.

On n'en aura donc jamais fini avec Charlie Kaufman.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire