mercredi 2 décembre 2020

Trois contes coquins pour confinements sur île déserte...


 Confinons-nous encore un peu. Mais pas avec n'importe qui, ni n'importe comment et pas n'importe où, surtout: sur une île perdue, au milieu de rien.

Demandez à Victor Hugo, Napoléon ou le capitaine Dreyfuss ce qu'ils en pensent: c'est pas tous les jours marrant. Les hasards de ma vie trépidante de spectateur compulsif m'ont entraîné ces dernières semaines à (re-)voir quelques films qui parlaient de ça, précisément. Avec pour commencer, - à tout seigneur, tout honneur - , le plus célèbre d'entre eux, ce bon vieux Robinson Crusoë.

J'avais totalement oublié que ce film, LES AVENTURES DE ROBINSON CRUSOE, vu deux ou trois fois dans mon enfance lors d'après-midis de vacances scolaires, était de Luis Bunuel lors de sa longue parenthèse mexicaine où il toucha à peu près à tous les styles, en toute décontraction. Et ce film d'aventure en technicolor qui tape dur (ah! le pantalon bleu de Dan O'Herlihy !), avec cette bonne vieille voix-off française des années 50 pompière qui est la madeleine de Proust d'un peu tout le monde, son générique et ses effets musicaux tin-tin-tin qui pourraient être ceux de films de pirates de Walsh ou d'Allan Dwan, ce pur film de divertissement qui n'a pas pris une ride, est bien du réalisateur du CHIEN ANDALOU !

 Bon sang, les quelques scènes avec les fameux anthropophages m'avaient terrorisé, et cela ne tient qu'en un plan vite balayé de débris humains à moitié enfouis dans le sable dont les quelques éclats écarlates (merci le Technicolor, encore une fois) suffisant pour suggérer une menace innommable avec une belle efficacité. Maintenant, lorsqu'on sait que c'est le grand Luis qui réalisa le film, on s'attache à traquer les éléments reconnaissables que ce grand anticlérical et concasseur de bourgeois, le compagnon en surréalisme de Dali auraient pu disséminer ici et là.

Il y a peut-être cette scène étrange, lorsque Robinson pris de fièvre délire, et voit apparaitre son père en compagnie d'un cochon qu'il douche et frotte à l'aide d'une cruche d'eau claire... Pour le reste, quelques éléments font sourire; lorsque la petite chatte qu'il a sauvé du naufrage donne naissance à des chatons sans le concours apparent d'un mâle quelconque, et frise la suspicion de parthénogénèse ou lorsque, bien sûr, ce bon Vendredi revient de fouiller dans les malles dans une jolie robe blanche. Si Dom Luis avait tourné cette adaptation dans les années 70, qu'aurait-il osé ? On rêve alors d'un Robinson incarné par Piccoli et d'un Vendredi tantôt Angela Molina, tantôt Alain Delon. Eh eh.


Le film est très fidèle à l'esprit du roman et, pour revenir à notre thématique du jour, s'occupe à gérer de manière fort matérielle les contingences en pure et due forme d'un confinement forcé à ciel ouvert. 20 ans sur une île déserte, putain... il fallait quand même un léger coup de pouce du destin. Ainsi, tous ce matériel, ces habits, ces armes et instruments récupérés sur le navire avant de sombrer, qui vont aider Robinson à se structurer. On l'avait oublié, mais au terme de cette aventure, il aura bâti un fort, planté du blé, fait son pain, appris la poterie et le macramé. 

Non, pas le macramé...

Autre coup de pouce scénaristique du destin, sans quoi le roman de Defoe n'aurait pas fait 100 pages, - et c'est un pavé -, la présence d'un chien, d'un chat, d'un sauvage tout paumé et terrorisé qui va devenir son compagnon... Toute une vie bien remplie, quoi. Beaucoup mieux que deux mois dans dans un F2 avec une bonne connexion internet, à mon avis.


Si ce bon vieux Daniel Defoe suggérait beaucoup de choses dans les rapports entre Crusoe et son sauvage, qui l'appelle "Maître", tant qu'à faire, il est un autre film qui va délibérément beaucoup plus loin dans l'exaltation des libidos, loin des yeux du monde, selon un phantasme digne du pire pitch du porno de base.


Elle et lui, seuls au monde. VERS UN DESTIN INSOLITE SUR LES FLOTS BLEUS DE L'ETE nous raconte le déchaînement sexuel extatique d'un couple de fortune "forcé" de vivre à deux sur une île au large de la Sicile. Lui, c'est un péquenot noiraud et tout hirsute qui grommelle à tout bout de champ. Elle, une comtesse poupée-barbie qui se la pète, n'arrête pas d'emmerder et d'insulter tout le monde, et ce saligaud de plouc Sicilien pas lavé en particulier.

Un jour que madame se lève tard sur son yacht (vers 17h) et s'aperçoit que ses amis sont partis sans elle faire une excursion, elle force le pauvre Gennarino à la conduire fissa les rejoindre. Panne moteur, fort courant, nuit au fond du canot et soleil de plomb, île déserte.

Le coup du lagon bleu viendra après. Car d'abord elle le méprise, il la déteste. Elle ne sait rien faire à part gueuler, il se débrouille pour se trouver un abri, pêcher du poisson, le cuisiner et surtout, l'envoie chier. C'est un film italien des années 70, donc fortement connoté politiquement, - ça n'est rien de le dire -, et c'est d'un coup comme si Marx et Engels se fracassaient sur les récifs de Wilhelm Reich et de la libération sexuelle.


Elle pense devoir "y passer" pour manger et veut se donner, d'un air dégoûté. Il l'envoie paître, la traite de putain, mais lui donne à manger quand même. Mais elle devra "faire sa part". A savoir: le ménage.

Lui chasseur-cueilleur, elle garder la cabane propre. Et là quelque chose advient que tous les idéaux progressistes et féministes accueilleront avec les haut-cris qu'il convient: bon sang mais c'est bien sûr, c'est dans le plus pur dénuement que la femme et l'homme, hors de tout carcan social et culturel, trouveront naturellement leur place (pour une bonne gestion du foyer), et la passion naturelle dans leur coeur. Elle se donne alors à lui de toute son âme, il la prend avec joie, c'est un déchaînement comme tout un chacun en rêve, ils sont insatiables, jusqu'à ce qu'elle lui demande, dans un abandon amoureux haletant, de la sodomiser.

De quoi, répond-il, lui qui connait la pratique mais pas du tout le verbe ? Tu peux pas dire "enculer" comme tout le monde ? 


Et pourquoi ce film est passé comme une lettre à la poste ? Parce que le film est signé Lina Wertmüller, femme de théâtre et de cinéma, grande figure intellectuelle en Italie, et que personne ne pouvait lui coller un procès là-dessus. En s'amusant à raconter les ébats d'un prolo un peu rustre avec une belle aristo réactionnaire, elle payait son tribut au tout-pour-le-cul de l'époque, avec beaucoup d'ironie, car les deux amants sont repêchés, hélas, et la parenthèse s'achève là. En fait, ça n'était pas le sujet.

Ils se sont jurés de rester ensemble une fois sur le continent, mais finalement, être riche c'est mieux: elle s'envole en compagnie de son époux, foulard hermès et tout, en hélicoptère, vers son palais. Lui retrouvera sa femme qui l'attend de pied ferme, avec sa marmaille qui piaille dans son deux pièces insalubre. 

Retour à la normale. Attention, donc, aux confinements de rêve, à la sortie cela peut être pire qu'une méchante descente de coke. Le film est méchamment drôle et drôlement sexy, et vous pouvez toujours aller le voir sur arte.tv...


Un cran au-dessus, encore, sur l'échelle du rêve érotomane idéal, vous avez le confinement façon Nelly Kaplan avec son dernier film réalisé en 1991, PLAISIR D'AMOUR. Comme tous ses autres films à l'exception du fameux LA FIANCEE DU PIRATE, la cinéaste n'a que très rarement touché le grand public, même avec ce film-là qui, malgré du beau monde au générique, prit un sévère bouillon à sa sortie.

Ile au milieu du Pacifique cette fois, et pas tout à fait déserte puisque habitée par une gynécée de trois femmes, la fille, la mère, la grand-mère, qui ont posté une annonce à laquelle Guillaume de Burlador a répondu: être le précepteur de la jeune Flo, 13 ans, qui s'est un peu égarée en Europe avec un vieil oncle, mais qui va bientôt rentrer.

En attendant, Guillaume qui est un peu écrivain, un brin poète et très séducteur (Burlador est le nom du premier Dom Juan) s'amuse avec la jeune Jo, qui se pique de littérature elle aussi, avec l'exigeante Clo, femme de tête qui diligente la maison avec beaucoup de poigne et Do, la plus âgée de cette gynécée toujours vêtue de robes du soir ou de déshabillés troublants, quand Clo ne s'habille pas en garagiste, ce qui la rend plus désirable encore.


C'est un peu comme si Kafka avait repris un conte érotique de Pierre Louys, comme si tout à coup tous les héroïnes des romans de Somerset Maugham se mettaient à coucher à tour de bras. En bon obsédé pour qui la chose est tout, ce bon Guillaume les aimera toutes, l'une après l'autre, chacune sur son créneau horaire, parfois à l'improviste, tenant un carnet où il comptabilise soigneusement ses coups jour après jour, un peu boosté sans qu'il le sache par des cachets faits maison qu'un serviteur diligent glisse dans ses bouteilles de vin. Quelle santé !

Sans qu'il sache non plus que chacune sait ce qu'il farfouille avec les deux autres. Sans qu'il comprenne tout de suite que ce sont elles qui décident quand et comment. Sans qu'il pige que la petite Flo, dont la lecture du journal intime l'affole (une Justine de 13 ans, mon dieu cela est-il possible ?), est une invention des trois femmes qui ne débarquera jamais sur cette île et qu'il n'est pas là pour instruire les jeunes filles, mais pour servir de sex-toy.

On devine un peu pourquoi le film n'attira pas grand monde: on ne rigole pas avec les mâles dominants. Et pourtant si, elles s'amusent comme des folles, surtout que celui-là a de la distinction et tient la distance. Sinon, les mâles du coin sont là pour le décorum: un vieux médecin de famille qui se plaît à avouer que maintenant il ne peut plus mais que jadis, il avait de splendides érections (peut-être est-ce le seul de leurs "serviteurs" qui soit resté sur l'île après son remplacement), un domestique un peu robotique, un jardinier-cuisinier-sculpteur un peu timbré (c'est Heinz Bennent, le mari de Deneuve planqué dans sa loge de théâtre dans LE DERNIER METRO), et un gros connard d'avocat qui lorgne sur le domaine et pisse dans l'évier sans se laver les mains après.

Guillaume de Burlador, qui tombe amoureux fou de celle qui n'est pas là et qui n'existe même pas, partira fou de rage, amer, lessivé, mais convaincu de retrouver cette chimère un jour. C'est beau un homme qui aime, mais qu'est-ce-que ça peut être con, des fois. Partir à la poursuite d'une ombre et abandonner Cécile Sanz de Alba, Dominique Blanc et Françoise Fabian alors qu'elles étaient très contentes de vous, mais enfin, Pierre Arditi, c'est complètement idiot...


Moralité: dans ce cas de figure, si vous entendez parler d'un déconfinement, faites celui qui n'a rien entendu, faites-vous beau, retapez un peu le plumard, et attendez de voir qui viendra frotter à votre porte. 

Vive le confinement.

(le film se regarde sur le site MK2-Curiosity, ailleurs peut-être, c'est une vraie curiosité, en avance sur son époque, qu'il faut voir malgré ses excès de kitsch très volontaires...)


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