mardi 10 novembre 2020

Au cul des nonnes.



Privé de subventions, fauché, menacé d'extinction par un régime qui ne veut pas de lui, le nouveau cinéma brésilien est une des scènes les plus actives, et des plus iconoclastes du panorama cinématographique mondial actuel. C'est ce dont rend compte depuis plusieurs mois la chaîne de cinéma en ligne Mubi, via une programmation qui donne la part belle aux documentaires comme à la fiction, aux longs comme aux courts métrages.

Ainsi, on a pu voir la merveille d'Ana Vaz APIYEMIYEKI ?, film de collages et de surimpressions, qui traite de la construction d'une route nationale à travers la forêt amazonienne, à l'origine de l'assassinat de membres de tribus indiennes. Ainsi le documentaire THE TRIAL sur le procès en destitution de la présidente Dilma Roussef, LANDLESS de Camila Freitas sur l'appropriation de terres agricoles inexploitées par des sans-abris regroupés en ZAD pacifiques (occupations jugées "illégales" par l'Etat brésilien, qui a ouvert la voie à des lois iniques qui autorisent à présent les riches propriétaires à faire usage de leurs armes contre ces nouveaux paysans), ou le poignant LET IT BURN de Maira Buhler sur le quotidien d'un centre pour toxicomanes sans-abris de Sao Paulo, avant sa fermeture par le nouveau maire.

Mais aussi des fictions, pas toujours heureuses dans leurs formes mais qui, toutes, cherchent à capter la douceur comme la chaleur incandescente d'un pays partagé entre ferveur catholique et une culture du partage et de la fête. 


Le film de Tavinho Teixeira SOL ALEGRIA, lui, fait l'effet d'un objet filmique sauvage et carnavalesque qui bat le rappel de figures importantes des années 70, à mi-chemin entre le cinéma politique radicale de Pasolini et les excès surréalistes de Jodorowsky. Ce serait se montrer prophète à la petite semaine que de prédire que ce film ne sera pas en bonne place dans la vidéothèque de Bolsonaro, - pour peu qu'il en ait une -, tellement le film s'avance au pas de charge dans le champ de la plus pure provocation et de l'anarchisme le plus radical.

Longtemps qu'on n'avait pas vu des nonnes aussi heureuses se rouler dans la paille (certaines de ces nonnes sont des hommes, d'ailleurs, et ne portent parfois que leur collerette), longtemps qu'on n'avait pas convoqué le Marquis de Sade et Georges Bataille dans un couvent (de l'usage d'une machine à pénétration et de sa propre vérité intime à aller chercher au fond de son cul), ou fait caca sur le pare-brise d'une voiture de flics. Le tout dans la joie, le bonheur, et le plaisir absolu de se tripoter, de s'habiller et de s'aimer comme on veut.


Derrière le versant plutôt solaire de cette fiesta endiablée, Tavinho Teixeira qui n'est pas seulement un artiste provocateur et décalé, se profile la face plus noire d'un certain retour à la réalité lorsque ce noyau familial orthodoxe sur le papier (papa, maman, fifille, fiston), de trublion échangiste, diva un peu goudou, jeune vierge délurée et petit pédé péroxydé de backroom deviennent: chef de famille qui fait bosser toute sa smala dans un cirque, femme docile, petite fille frustrée et pas contente, et brave garçon obéissant. Toujours sous des airs cotillons et paillettes (le Brésil se doit par-dessus tout de garder ses apprêts de Carnaval), les cris d'extase ont laissé place à des sourires forcés pleins de dents blanches, et la poésie comme l'art, quant à eux (ces inutiles) aux slogans idiots, et préfabriqués de vulgaires émissions de shows télévisés.

SOL ALEGRIA est franchement drôle lorsqu'il imagine ce monde rêvé dans lequel des religieuses et religieux un peu queer se font complice de l'assassinat de leur nouveau dirigeant (ce sont les premières scènes, à valeur d'exhutoire, qui feront sourires tous les antifa du monde) sans que pour autant, - et c'est quand même un tour de force notable -, ne soit remis en doute un certain respect de la foi religieuse que le cinéaste rhabille, et déshabille, pour le long hiver à venir. 


Il l'est beaucoup moins dans sa dernière partie, et comme Tavinho Teixeira semble être un auteur très moral (immoral diront d'autres), partageons ici ce qu'il semble vouloir dire: ne croyez aux strasses et paillettes de ses guignols souriants, la vraie joie est dans l'anarchie de nos culs tendrement partagés.

Amen.

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