mercredi 16 décembre 2020

2020, c'est terminé.

 2020, c'est ter-mi-né. Finito, endgame, vertig, kaputt. Nous raterons donc tous ces films qui auraient du sortir et ne sortiront qu'en... on ne sait plus trop quand, tant pis pour le dernier Quentin Dupieux, donc, qu'on ne pourra pas voir cette année,  le Shannelec, le dernier Wiseman qu'on n'a pas eu le temps d'aller visionner entre deux confinements, le prochain James Bond et tous ceux qui ont laissé leurs distributeurs et leurs campagnes-média gros-jean comme devant. 


Ce qui nous fait, les deux confinements compilés, près de 4 mois de sorties-salle en moins que d'habitude, un tiers de films à voir en moins, un tiers de films qu'on aurait pu rater en moins, également, s'il faut absolument positiver quelque part.

Pas plus tard que ce matin, nous avons pu lire les propos de de bon professeur Delfraissy, épidémiologiste d'Etat, qui nous avertissait gentiment que 2021 allait beaucoup ressembler à 2020, si ça continuait comme ça. Entendez par là ce que vous vous voudrez bien comprendre: si ce gouvernement de girouette ne se résolvait pas à boucler le pays deux/trois semaines une bonne fois pour toutes, à la chinoise, si les gens n'arrêtaient pas de se bousculer dans les grands magasins, si les ces sales gosses n'arrêtaient pas de coller leurs mains pleines de crottes de nez sur les vitres des magasins de jouet, si on n'arrêtait pas de se mettre le masque SOUS le nez, si les sales jeunes n'arrêtaient pas de baver sur le même joint. En gros: si ma grand-mère avait des roues, elle ferait un très joli camion.

Ce n'est pas parce qu'on n'a pas pu aller au cinéma autant qu'on a voulu, qu'on n'a pas vu de bons films pour autant. En s'appliquant à bien choisir ses séances et à ne pas suivre le troupeau, on en a même vu beaucoup.

C'est donc l'heure du BILAN. Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, voici le bilan cinéma 2020 de RongeMaille, son top 10. Vous me remercierez plus tard si ça vous chante.

J'ai bien pris soin, malgré les millions d'images ingérées dans mon rocking-chair à toute heure du jour et de la nuit à bouffer du cinéma sur les plateformes de VOD, à dégager derechef les exclusivités Netflix, Prime, Amazon, Disney et j'en passe, qui sont là pour nous faire croire que le net est le nouveau refuge, l'ultime bastion de la création cinématographique.

Ignorant superbement ce chantage à l'émotion, je continuerai à prétendre, en digne vieux con que je suis, que la salle de cinéma reste le meilleur endroit pour voir des films, malgré ce que prétendent certains cinéastes eux-mêmes (et pas des moindres). Après avoir vu peu de ces productions-là, je peux dire que mon classement n'a pas raté grand chose de leur absence (hormis, soyons juste, le bouillonnant UNCUT GEMS des frères Safdie, qui aurait eu sa place dans ce Top, mais c'est comme ça; attribuons-lui la 11°, et tout le monde sera content).


S'il faut parler de chantage à l'émotion, s'il y en a un qui m'a bien eu, c'est le ANTIGONE de Sophie Deraspe, vrai mélodrame politique sur fond d'injustice sociale, de violence policière et de crise des migrants. Voilà qui était bien aventureux, de tout mettre et de tout dire en un seul film, mais il est tellement rare qu'une oeuvre, malgré ses défauts formels évidents,  concorde à ce point avec les problèmes de son temps, qu'il a fallu qu'on se frotte les yeux pour se rendre compte qu'on voyait bien ce qu'on regardait.

En adaptant la figure centrale de ce symbole de toutes les résistances, de tous les combats menés contre les injustices, Sophie Deraspe avait de quoi faire avec le climat social et politique de cette fin de décennie. Aussi Antigone, (remarquable Nahéma Ricci), dont le grand frère a été abattu suite à une bavure policière, dont le petit frère va être reconduit dans son pays d'"origine" où leurs parents ont été assassinés, aura été la figure emblématique de résistance (rêvée) au coeur d'un Occident qui, décidément, a les valeurs et le coeur à l'envers. 


Sur les rives du fleuve Congo, on a cru halluciner face à ce film qui nous parle d'assassinat vaudou, de pouvoirs guérisseurs, de pillage des ressources naturelles par l'Empire industriel chinois, et de la tristesse des fées de l'eau qui demandent à être changées de site pour pouvoir exaucer les voeux d'un sorcier. Dit comme ça, on pourrait penser à un Miyazaki sous poppers mais non: il s'agit bien d'un documentaire sidérant sur les rites et croyances d'un pays où justice se rend d'une drôle de manière, et où les esprits finissent toujours par l'emporter. Le documentaire de La Vapeur & Vaclav reste le seul film, à ma connaissance, où des sirènes se retrouvent créditées au générique de fin. Hallucinant.


Et puis il y a des années où on en rate au moins un, et des années où on les voit tous ! Je veux parler des films de Hong Sang-Soo (deux à trois films par an, en moyenne), le cinéaste le plus passionnant en activité, selon moi, qui nous a régalé coup sur coup de deux merveilles comme lui seul sait en faire. Celui qu'on a paresseusement comparé longtemps à Rohmer file désormais vers des contrées tellement inédites qu'on se demande jusqu'où cet amoureux des histoires d'amour, des repas arrosés au soju et des petits riens de la vie de tous les jours, jusqu'où ce manipulateur discret de tous les espaces-temps ira pour rajouter, encore et encore, des lettres supplémentaires à l'alphabet du septième art.


Entre le spleen en noir-et-blanc des retrouvailles amères d'un père indigne et de ses deux fils dans HOTEL BY THE RIVER, et ce jeu de succession de rencontres anodines (en apparence) de LA FEMME QUI S'EST ENFUIE, mon coeur balance encore et renoncerait, presque, à choisir. Le genre de sentiment que Hong serait à même de filmer. Et on n'en finira jamais de tomber amoureux de Kim Min-Hee à chacune de ses apparitions...

Le seul Amerloque de ces dix nous vient de cette petite fofolle de Miranda July, artiste et poète, écrivain et cinéaste à ses heures qui nous a raconté une bien drôle d'histoire, paumée dans les suburbs de L.A. en compagnie de trois arnaqueurs de faible niveau, maman-papa-fifille, mademoiselle dont l'autisme apparent a été bien entretenue tout au long de son éducation pour en faire une voleuse totalement hermétique aux émois extérieurs. Comprenons celles et ceusses qui n'ont rien entravé à ce film complètement malade: car effectivement, on ne voit pas ça tous les jours. Servi par des comédiens super, dont le toujours génial Richard Jenkins et l'incroyable Evan Rachel Wood, KAJILLIONAIRE nous raconte l'éveil affectif et amoureux d'une jeune femme qui a grandi dans un milieu pluri-toxique des plus carabiné. De là à en faire une juste métaphore sur la propagation des valeurs matérialistes, de nos jours, aux Etats-Unis, et de génération en génération et bien mois je dis: sans aucun doute.



Après d'autres fables tout aussi amères, mais plus relax sur la corruption patente de son pays, le Kazakhstan, le très joueur et très obstiné Yerzhanov nous le refait sur un mode, cette fois, beaucoup moins cool. Meurtrier pédophile couvert par les institutions, flics violents et pourris chargés de liquider des suspects fabriqués de toute pièce (ici un débile mental), il en faudra beaucoup pour que les coupables paient la note, à la fin. 

Avec son style pince-sans-rire dont, décidément, on ne se lasse pas, et qui en fait comme une sorte de Kaurismäki qui aurait trop lu Dostoïevski, Yerzhanov filme l'éveil d'une brute stoïque vers un semblant de justice...mais promulguée ici au canon scié. Final sanglant, ironie de tous les instants et paysages splendides; un film noir absolument parfait, et assez démoralisant.


Alors qu'on croyait Cristi Puiu condamné à filmer dans des trois-pièces étriqués les maux de la société roumaine moderne, il nous revient avec un film monstrueux de 3 heures et 20 minutes avec des joutes philosophiques, littéraires et morales entre cinq aristocrates, dans un manoir perdu dans un paysage enneigé. Inspiré d'un contemporain de Tolstoï, un certain Solovyov, voilà un film qu'il ne fait pas bon vouloir aborder avec un début de migraine. Les dialogues, en dehors de ceux, nombreux, qui se rapportent à la religion, ont beau se reposer sur des faits historiques d'un autre siècle, leur écho dans notre Europe contemporaine reste frappant. 

Vraie prouesse de cinéma, servie par des acteurs d'exception qui ont du vraiment en baver (des kilomètres de textes difficiles appris par coeur dans trois langues différentes), MALMKROG vaut autant pour sa rigueur formelle que pour ses drôles d'échappées narratives (dont une fusillade d'anthologie à la contingence suspecte, véritable trou d'air dans la narration). Une vraie montagne, à gravir uniquement si on est en bonne condition.


Au petit jeu du "toujours plus loin, toujours plus fort", les Chinois sont décidément les meilleurs. Pour preuve, ce premier (!!!) film de Xiaogang Gu qu'on croirait l'oeuvre définitive d'un vieux maître de plus de 70 ans. Pas de véritable trame ici, mais plutôt la chronique familiale douce-amère autour d'un lac, des montagnes qui l'entourent et d'une ville, Hangzhou, dont le cinéaste a voulu capter toutes les transformations. Premier volet d'un triptyque autobiographique à venir, SEJOUR DANS LES MONTS FUCHUN sidère par sa beauté formelle, ainsi que par quelques tours de force (dont un plan-séquence incroyable le long d'une rive, lui qui nage près du bord, elle qui essaie de le rattraper par les sentiers en sous-bois).

Si un cinéaste un peu hybride qui posséderait à la fois le sens du temps qui passe de Hou Hsiao-Hsien, celui du coup de force narratif de Diao Yinan (le réalisateur de BLACK COAL), et la précision quasi-documentaire de Jia Zhang-ke n'existait pas encore jusque là, il vient peut-être de montrer le bout de son nez en la personne de ce cinéaste à surveiller de très très près: Xiaogang Gu.


Le meilleur film d'horreur de cette année nous vient peut-être d'Algérie. Et quelle pire horreur que cette guerre civile qui sema le carnage dans les années 90, les années FIS et compagnie. Prenant pour prétexte la fuite de deux hommes dans le désert, ABOU LEILA offre à voir des images de folie et de carnage comme on n'en avait pas vu depuis des lustres. Film de guerre hors de la guerre, et véritable film-cerveau, le film est peut-être la projection de la psyché de l'un dans les visions de l'autre (un flic traumatisé rendu malade par un meurtre dont il a été témoin, un autre arborant fièrement une virilité inébranlable de combattant). A moins que ce ne soit l'inverse.

Hors du temps, le film n'arrête pas de parler d'un pays transformé "en asile à ciel ouvert", et prend les apparences les plus concrètes d'un trauma tel que défini par Freud: l'irruption du réel dans la psyché. ABOU LEILA est le spectacle d'une psyché malade en train de se débattre. A une séquence terrible dans une pension où a eu lieu un massacre (du gore dans toute sa dimension guerrière) succède une séquence dans le désert plus onirique, moins convaincante sans doute, mais là pour porter un regard différent, et à ma connaissance unique, sur les traumatismes de la guerre. LA grosse baffe de l'année, celle qui fait mal.


Complètement à l'opposé, on n'est toujours pas revenu de la douceur, de la chaleur d'EVA EN AOUT et du sourire d'Itaso Arano, sa co-scénariste-interprète principale. Improvisation dans les rues bouillantes de Madrid, désertées de ses habitants, voilà un film vu un après-midi torride d'un été pré et post-confinement à Montpellier offrant le spectacle banal d'une jeune femme qui se cherche dans une ville à moitié déserte. Rencontres à faires, coeurs à saisir, ancien amour croisé par hasard, petite fête au bord de l'eau, coup de foudre ou peut-être pas, drague et en fait non, jamais sans doute le banal sans histoire aura trouvé d'écho aussi pur, aussi particulier qu'en cette année où tout contact avec l'inconnu nous aura été littéralement interdit.

EVA EN AOUT, pour moi film de l'année, qui définit tellement bien, et avec tant de calme, l'art de vivre et, comme Eva, l'art de s'ouvrir au hasard. Avec tout ce que nous avons été obligé de vivre en 2020, ou plutôt de ne pas vivre, quelque chose s'est remis en place: ce ne sont pas les films de James Bond ni les blagues grasses qui nous ont manqué, mais quelque chose comme le sourire d'Eva.




1. EVA EN AOUT de Jonas Trueba

 https://youtu.be/-mkhnyMV5gc

2. ABOU LEILA de Amin Sidi-Boumédienne

https://youtu.be/BMy6BSPiv_c

3. SEJOUR DANS LES MONTS FUCHUN de Xiaogang Gu

https://youtu.be/YLlvPJ4uUqs

4. MALMKROG de Cristi Puiu

https://youtu.be/PG2Z90ZvWpg

5. LA FEMME QUI S'EST ENFUIE de Hong Sang-Soo

Bande-annonce du film...

6. A DARK, DARK MAN de Adilkhan Yerzhanov

https://youtu.be/xNOXFNL347c

7. HOTEL BY THE RIVER de Hong Sang-Soo

https://youtu.be/16BTvCgEA1Q

8. KAJILLIONAIRE de Miranda July

https://youtu.be/rm2EDkgoMps

9. KONGO de Hadrien La Vapeur & Corto Vaclav

https://youtu.be/vPkFpfCe3s8

10.ANTIGONE de Sophie Deraspe

https://youtu.be/n4RhiHtcArc

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