jeudi 10 décembre 2020

Woody


 Avec son blaze de chanteur de country et sa gueule à vous chercher des noises au fond des bistrots, Woody Harrelson mérite plus que sa réputation de bon gars et de comédien "costaud" - entendez par là qu'il sait, et a joué à peu près sur tous les rôles, des plus excessifs aux plus normaux -, et c'est vrai que de posséder une tronche comme la sienne, c'est plutôt bonnard quand on veut faire du cinéma. 

Un temps, on le voyait beaucoup sur les tee-shirts des rebelles de moins de 19 ans et demi, petites lunettes de soleil rondes sur le nez, le canon scié nonchalamment posé sur l'épaule, pataugeant dans les viscères des innombrables victimes qu'il dispersait manière puzzle en compagnie de Juliette Lewis dans le culte (même si plus trop, aujourd'hui) et très cocaïné TUEURS NES d'Oliver Stone, cinéaste énervé. Plus près de nous, il est aussi le shériff à la cool qui dégomme du mort-vivant dans la franchise marrante ZOMBIELAND ou mieux, l'acolyte "normal, mais burné" de Matthew McConaughey dans la première saison (encore culte, mais pour combien de temps ?) TRUE DETECTIVE.

Dans LARRY FLINT de ce diable de Milos Forman, il prouvait en un tour de main qu'il pouvait être à la fois assez excessif dans son genre, mais touchant, également, à vociférer des insanités en chaise roulante, une pin-up sur les genoux.

Souvenons-nous. Dans TRUE DETECTIVE, il incarne donc le détective Marty Hart, flic "normal" et très efficace avec femme, enfants, jolie maison et tout, dont la grande faiblesse est de ne pas savoir résister à l'appel du 5 à 7 crapuleux en compagnie de jeunes femmes splendides et délurées. Marty à qui on collait dans les pattes le détective Rusty Cohle, ex-flic infiltré chez les narcos, amoché de partout, mi-profiler, mi-shaman qui permettait à son interprète, ce cabot de McConaughey, de se fabriquer un nouveau style: mâchoires serrées, diction leeente en descente de came, et physique de coureur kenyan, avec l'accent du Texas.


Or, Matthew avait beau tout faire pour qu'on le remarque là-dedans - ce en quoi il réussit pleinement -, finalement, c'est peut-être la performance de Woody à laquelle on s'est le plus attaché, avec le temps: queutard impénitent qui passe son temps à se les remonter en crachant par terre puis, des années plus tard, flicard qui a pris du ventre mais se vante encore d'en avoir "une bonne paire", il offrait un contrepoint tout à fait normal aux excès innombrables que Pizzolato avait mis dans le personnage vraiment "too much" de Rusty Cohle.

C'est ça: Woody est un type normal. Qui sait jouer pleinement de cette ambivalence physique qu'il n'a certainement pas voulu au départ, mais avec laquelle il joue à merveille: une tête de beauf sur un type sensible. Beaucoup de gueule, mais une finesse de jeu planquée juste derrière qui est l'apanage des grands.


Vu pas plus tard qu'il n'y a pas longtemps LBJ de Rob Reiner, où il incarne un des présidents américains les plus mal aimés du monde, Lyndon Johnson et sa sale tronche, ses racines sudistes, son franc-parler de soudard et ce crime à jamais indélébile sur sa face de rat: avoir été celui qui a profité de l'assassinat de Kennedy pour monter sur le trône et, en même temps, coller un turbo au cul des troupes américaines au Viêtnam.

La mission pour Woody, avec l'aide de scénaristes habiles qui ont su aménager l'Histoire à leur sauce, c'est de nous rendre Lyndon sympathique. Car c'est LUI qui a fait promulguer la loi sur les droits civiques, chère au coeur des Kennedy. C'est LUI qui a refusé de décoller subitement de Dallas après l'assassinat car il voulait attendre Jackie, de retour des urgences dans sa jolie robe tâchée. C'est LUI qui a ordonné à ses sbires de laisser Jackie dans l'aile de la Maison Blanche aussi longtemps qu'elle le désirait. C'est LUI le seul président en exercice à ne pas avoir souhaité se représenter après un premier mandat (techniquement, un mandat et demi, puisque...).

Ah ! ces Américains... On attend avec impatience le biopic de Donald par Kathryn Bigelow. tiens, pour voir.. Toujours est-il que LBJ, qui s'est pris un bouillon à sa sortie reste un film intriguant: on regrettera le maquillage au latex de cette pauvre Jennifer Jason Leigh, madame Johnson qui, dans un rôle ingrat et quasiment muet, semble s'être échappée de la caravane de maquillage du DICK TRACY de Warren Beatty.

Quant à Woody, puisqu'on est ici pour lui aujourd'hui, il se la donne. Même avec un menton de rugbyman prognathe un peu exagéré, il est crédible en vieux briscard sournois qui, entre deux bonnes blagues graveleuses et trois citations de la Bible, roule son monde dans la farine et fait croire aux réacs comme aux progressistes qu'il est dans leur camp. De ses saillies que l'Histoire a bien du homologuer quelque part, on retiendra cette blague qu'il n'hésite pas à raconter au sénateur facho qu'il veut mettre dans sa poche: 

Un jour, Lincoln se réveille après une cuite qui a bien duré quatre jours et trois nuits et se met à gueuler: "J'AI ABOLI QUOI ????"


C'est dans ces grandes scènes de dialogues entre Johnson et le sénateur de Georgie Richard Russell que le film décolle très haut au-dessus du reste: Woody face à Richard Jenkins, pas n'importe qui non plus, avec un Rob Reiner qui, tout à coup, retrouve son sens du rythme et de la mise-en-scène. Reiner est un cinéaste de dialogues, et un fabuleux directeur d'acteurs et là, débarrassé du poids embarrassant de l'Histoire américaine wikipédiée pour les nuls, en s'imaginant une rencontre, un affrontement entre deux vieux "amis" politiques qui se connaissent par coeur, le film trouve sa raison d'être, et nous en dit beaucoup sur l'art difficile de la politique d'alcôves.

Pas un grand film, mais une juste récompense pour Harrelson qui n'incarnera jamais JFK, ni Obama, ni Clinton, mais un président à son image: pas beau, ni très sympathique, pas glamour du tout et encore moins branché, mais qui blouse son monde parce qu'il a l'air plus con que la moyenne.

LBJ passe en ce moment sur Paramount TV, chaîne de merde que vous avez peut-être sur votre box sans le savoir et qui ne passe JAMAIS de films en version originale sous-titrée.


Hasard du calendrier, SUNCHASER a été rediffusé sur Mubi. Le dernier film de Michael Cimino, mal vu, mal apprécié et, il faut le dire, en grande partie raté, demeure quand même un morceau d'Americana comme seul un grand pouvait en réaliser. Woody y campe un chirurgien cancérologue en pleine ascension sociale, décapotable, barraque avec piscine, épouse de concours et grand avenir devant lui qui se fait prendre un otage par un gamin de 16 ans en phase terminale, et emprisonné pour le meurtre de son beau-père.

Petite moustache de glandu et chemise-cravate, Woody est sensass en trou-du-cul normal pour qui la formule petit-déj dans un diner de bord de route en Arizona est aussi insane qu'une chanson de Willy Nelson sur la bande FM. Road-movie un peu trop téléphoné (le bobo et la petite frappe, à la fin gros bisous, tout ça), mélo saupoudré de spiritualité comanche enfumée, avec une apparition marrante d'Anne Bancroft en toubib bab en VW combi qui saura trouver les mots pour rassembler les chakras de tout le monde: son apparition a du inspirer celle d'Anjelica Huston dans le western allumé SERAPHIM FALLS, qui mettait fin à la bagarre absurde entre Pierce Brosnan et Liam Neeson.

Le film blesse la rétine toujours autant aux mêmes endroits: le final est dans son ensemble impardonnable, et indigne du réalisateur de DEER HUNTER même si, en un plan (le jeune "Blue" courant vers le lac et disparaissant à la surface), il réussit à rappeler toute la grandeur d'un style, grandiose et classique, qui est mort avec lui.

On a assez parlé de Cimino comme d'"une génération perdue à lui tout seul", et il est amusant de constater que de son acteur-fêtiche, Mickey Rourke (3 films sur 7 réalisés... bordel, seulement 7 !!!), on peut dire la même chose...


Revoir SUNCHASER est comme relire la dernière lettre d'un ami cher et disparu, qui n'avait plus tous ses moyens au moment de l'écrire. Pourtant, le film se tient, hormis le dernier quart d'heure, et on reste en arrêt devant certains plans incroyables: Harrelson résistant à la menace du flingue posé contre son oreille, pensant fort à son frère adoré mais disparu, l'oeil sur le drapeau américain pris dans son rétroviseur. Dans L'ANNEE DU DRAGON, Cimino nous offrait ce même plan sur un drapeau claquant au vent alors que Rourke vociférait des propos agressifs et racistes à un collègue. Plus Américain que ça, tu meurs... Ou encore l'apparition de cette jeune comanche à ray-bans, portrait-craché du cinéaste à la fin de sa vie.

Woody Harrelson débute SUNCHASER wasp à petites lunettes cerclées, il le finit des auréoles jaunes sous les bras, un verre cassé et hors-la-loi. Ailleurs, dans d'autres films, on ne sait plus dans quel sens il a fait ce même trajet, mais une chose est sûre est certaine: quand Woody commence une partition d'une manière frontale, aux limites du cliché, vous êtes sûr qu'il va à un moment donné retourné sa peau et vous montrer ce qu'il y a juste derrière.



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