Il y a eu une nouvelle vague roumaine, c'est certain, dont on peu facilement dater les débuts aux alentours de 12h08 à l'est de Bucarest de Porumboiu, comédie grinçante et tordante sur la façon qu'ont eu les Roumains de s'arranger avec leur histoire après la chute de Ceaucescu et surtout l' assez peu désopilant 4 mois, 3 semaines, 2 jours de Cristian Mungiu, palmé d'or en 2007. R.M.N. en est peut-être le paraphe, tant le cinéma roumain semble économiquement en sursis, avec comme seul échappatoire ce type de coproduction européenne.
Heureusement que l'Europe existe donc, pourrait-on se dire alors. Mais c'est justement ce que les personnages de R.M.N. semblent, eux, regretter de tout leur coeur. On y suit le retour à la maison de Matthias (le très étonnant Marin Grigore avec son regard vide de brute épaisse), sorte de molosse peu affable aux sourcils toujours froncés dont le premier geste, après celui de vider une brebis au couteau dans l'abattoir où il travaille, et de coup-de-bouler un petit chef qui vient de le traiter de gitan paresseux. On ne rigole pas avec les origines là d'où Mathias vient, petit bled enneigé de Transylvanie roumaine qui se targue, justement, d'avoir vidé les lieux de ses voleurs et de sa population tzigane. Restent un melting-pot où l'on parle roumain, hongrois et un peu allemand tant cette région à cheval sur bien des frontières a jadis été peuplée par des vagues d'immigration successives.
Si l'on veut comprendre les mentalités qui fleurissent en Roumanie aujourd'hui, tout comme en Bulgarie ou dans la Hongrie de Orban, cela peut être utile de jeter un oeil au dernier film de Mungiu qui, comme à son habitude, ne se force pas vraiment pour édulcorer le décor et les mentalités. Parti-pris qui culmine dans un saisissant plan-séquence sur une réunion de salle des fêtes où les villageois sont rassemblés pour décider du sort des trois migrants sri-lankais qui vivent avec eux, et de la boulangerie industrielle qui les emploie. Quand le bon peuple vide son sac, mieux vaut ne pas trop regarder ce qui traine dedans. On comprendra mieux avec quoi les extrèmes droites européennes s'amusent sans forcer pour attiser les haines des populations entre elles.
Variation acerbe autour de la fable du chien qui mange le chat, qui mange la souris qui mange le fromage... R.M.N. assiste à la désagrégation des rapports sociaux des pauvres entre eux: il n'y a que des travailleurs en provenance de ces pays-là qui peuvent accepter les salaires minimums roumains, c'est pourquoi les Roumains rêvent tous d'aller travailler en Italie ou en Allemagne, où là-bas ils sont considérés comme des profiteurs (et je te parle même pas des allocations qu'on y touche, surtout quand on est une famille nombreuse...). Mais attention, ceux qui font la manche dans les rues d'Europe occidentale ne peuvent pas être des Hongrois, mais des gitans (un Hongrois ne fait jamais la manche, c'est bien connu).
Décors vides, ciel gris et neige sale, il n'y a pas grand chose pour se réchauffer dans la Roumanie de Cristian Mungiu. Quand Matthias rentre chez lui, il décide de reprendre un peu en main son jeune fils, marmot mutique au visage poupin qui ne veut plus aller à l'école tout seul et dont les autres gamins se moquent. Ce qu'il veut lui apprendre, c'est de vivre "comme un homme", de pouvoir survivre loin des jupes de sa mère qui le couve trop, et dont il est en train de se séparer.
Que peut l'amour là-dedans ? De manière assez imperceptible, c'est pourtant vers l'amour que R.M.N. veut emmener son personnage et son public. Il n'y a que dans les bras de sa maîtresse que Matthias semble enfin vouloir sourire un peu. Il n'y aura que le suicide d'un vieil homme pour que la foule cesse ses harangues et qu'un petit garçon ait des mots d'amour pour son père.
Mais l'amour ne désarme pas tout. Dans un final que d'aucuns auront jugé incompréhensible, ou du moins curieusement allégorique, la fable politique pourtant limpide soudain s'emballe pour muter en une sorte de rage vengeresse dont les causes sont autant la peur de l'étranger que la haine envers ceux qui pourraient se mettre entre Matthias et l'objet de son désir, un désir de possession charnelle absolue de Csilla, qu'il veut pour lui seul.
Drôle de façon de faire se rencontrer deux désirs irraisonnés de sentiment de propriété exclusif et jaloux: mon village, mon pays, ma langue, cette femme que je défendrai contre quiconque voudra me les prendre à coups de fusil. On n'attendait pas le réalisateur de Baccalauréat sur cette ligne métaphorique aussi gaillarde mais, pour le coup, elle sonne juste.
Pour ma part et pour peu qu'elle meure de sa belle mort imminemment sous peu, je regretterai la clairvoyance acide de cette "nouvelle vague roumaine" qui n'en était peut-être pas une, mais nous a livré quelques grands films politiques de cette trempe. R.M.N. signifie I.R.M. en roumain. Il en a effectivement la précision clinique.
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