dimanche 20 novembre 2022

Jacky Caillou, l'homme qui a vu la louve.


 

Trouver l'envie d'aller voir un film français en salle est pour moi devenu une gageure, je dois bien l'avouer. Même si je prévois d'aller voir le dernier Albert Serra dans pas longtemps, mais c'est un Catalan. Les affres de la vie bourgeoise à Paris, les retrouvailles familiales dans les résidences secondaires avec ces vastes jardins et ces grandes tablées avec le cousin ingénieur qui déprime à cause de sa femme qui la trompe, ce n'est plus pour moi. Ils ont fini par me sortir par les trous de nez, et les acteurs qui vont avec tout autant. Restent quelques cinéastes qui me tiennent à coeur, - et encore parfois je me force -, dont Alain Guiraudie dont je flairais quelque chose d'avoisinant dans ce drôle de Jacky Caillou, conte amoral et lycanthrope sans vedette, sans budget, une poignée de comédiens professionnels mais pas trop et une ruralité qui respire quelque chose d'un peu sauvage et vrai.

Malgré ses défauts et ses malheureux trous d'air dans sa dernière demi-heure, Jacky Caillou n'en manque pas, d'air. Car il en faut pour imaginer l'histoire d'un jeune homme que rien ne prédispose à rien sinon à hériter du don de magnétiseur qu'on se refile de génération en génération dans la famille, et de son histoire d'amour contrariée avec une jeune fille de son âge à qui il pousse des poils gris sous l'omoplate.

Drôle de conte sur l'éclosion des désirs en un fatras alarmant de peur des premiers émois, peur de posséder un don qui vous échappe, peur de voir ce don vous dévorer, peur de se transformer en bête hurlante la nuit tombée, peur du coup du fusil du chasseur, peur de ne plus redevenir femme et crainte, enfin, de perdre sa nature profonde d'animal dangereux mais libre à jamais.


Jacky est un gars très gentil qui ne fout rien: tout juste bidouille-t-il des trucs rigolos avec un vieux magnéto à cassette et son micro HF qui en ferait presque le Brian Eno de la vallée, le Frank Zappa du bourg. Sa grand-mère est la magnétiseuse du coin, chez qui tout le monde se rend lorsqu'une verrue apparait, un mal de dos ne veut pas partir ou que la déprime vous gagne. C'est l'inconnue Edwige Blondiau qui incarne cette mémère aux airs de gamine, boiteuse, édentée, coiffée comme une squaw cheyenne déplumée dont le franc-parler n'a d'égal que sa douceur de mère protectrice. En d'étranges rituels qui deviennent vite des formalités, mamy étreint les arbres après avoir magnétisé toute la journée (pour se débarrasser du mal qu'elle a  pris aux autres), mange des tranches de foie de veau cru et rend hommage aux siens qui sont partis, - les parents de Jacky -, en causant à des cairns dans la montagne et en crachant par terre.

Quelque chose tracassait mamy Caillou avant qu'elle ne meure de sa belle vieillesse: cette jeune fille à qui il pousse des dôles de trucs dans le dos lui cache un truc, c'est sûr, et c'est pour ça qu'elle ne peut rien faire pour elle.


Jacky va reprendre l'affaire et, début de chouette histoire d'amour aidant, consommée dans les champs à l'abri sous la canopée, va s'apercevoir que la jolie Elsa a déjà égorgé pas mal de brebis dans le coin, et que les paysans échauffés ont déjà sorti les fusils.


Dommage qu'après un démarrage si étonnant, truffé d'un tas de petits éléments étranges qui finissent par nous devenir tout à fait naturels, le film fasse un détour trop appuyé vers une chasse au loup trop attendue, avec populace furibarde et maréchaussée dépassée, délaissant la belle course au clair de lune à deux qu'on aurait voulu voir durer plus longtemps.

Malgré cet écart trop attendu vers les conventions du genre et même s'il nous frustre d'une histoire d'amour jamais vue qu'on aurait aimé voir grandir, le film finit par faire face de belle manière à cette morale très logique au bout d'une histoire pourtant assujettie jusque là aux lois irrationnelles du surnaturel et du fantastique le plus séminal: que peut faire un jeune homme doté d'un don irrationnel contre une hérésie de la nature ? Jacky Caillou ne peut remettre d'équerre que ce qui ne marche pas droit, et Elsa trouvera sa voie naturelle ailleurs que chez les humains.

Chacun à sa place, et les moutons auront intérêt à être bien gardés.


Ce que le cinéma français ne s'aventure pas trop à nous montrer, Jacky Caillou le tente, et quelque chose sonne vrai dans cette allégorie montagnarde qui nous ramène de force, pour une fois, aux forces irrationnelles de la nature, à celles qui nous effraient la nuit tombée et que les ombres et les bruits adoptent les formes de nos imaginations enfiévrées. 

Mais un film fantastique qui ne fait pas peur, bien au contraire. Qui nous donnerait plutôt envie de nous retrouver dans nos peaux de bêtes. Les débutants Thomas Parigi et Lou Lampros sont parfaits en amoureux débutants contrariés par les ondes et par la lune, et on pourra apporter de nombreux gages de confiance à Lucas Delangle, dont c'est le premier long, en lui souhaitant de creuser cette veine de conte à se dire aux coins du feu mâtiné de romantisme fiévreux, et d'y aller encore plus à fond la prochaine fois. Dans le cinéma français aujourd'hui, ce sont ceux qui osent absolument tout (Guiraudie, Dupieux, Ducornuau, Dumont, liste à compléter ?...) qui parviennent, et encore pas toujours, à nous sortir de ce cinéma bien trop coiffé pour être vivant (et honnête).



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