vendredi 11 novembre 2022

Le serment de Pamfir, de pierre en pire.


 Bouclé juste avant l'invasion russe de l'Ukraine, Le serment de Pamfir de Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk (que nous appellerons dorénavant DSS si vous le voulez bien) rejoint certains films de l'ancien bloc soviétique qu'ils soient kazhaks, russes ou géorgiens qui nous donnaient de bien tristes nouvelles de ces pays ayant renoués avec leur indépendance sans s'être jamais libérés du joug de la violence et de la corruption. Bien au contraire: en aggravant même la situation.

Avant que cette guerre commence, il n'y avait pas grand chose à raconter d'un pays dont le monde entier se fichait pas mal, refusant même de faire tout un foin de l'annexion du Donbass, comme des années auparavant de la mise au pas de la Tchétchénie. Poutine veut mettre la main sur un pays aux aspirations clairement européennes mais encore miné de l'intérieur par la violence, la misère, le poids de traditions stupides et surtout par une corruption mafieuse en lien avec les autorités locales. Reste à se demander si le film, sans cette invasion russe, aurait eu droit à une sortie chez nous (je pense que si, tant ses qualités sautent aux yeux)...

Pour évacuer définitivement la parabole politique dont le film se fait l'écho, il est sûr et certain qu'après avoir vu le R.M.N. de Mungiu il n'y a pas longtemps, avec ces communautés roumaines qui ont soif d'Occident tout en rejetant en bloc tout ce qui provient de l'immigration comme des décisions européennes, voir les paysans miséreux du film de DSS aspirer à une fuite vers la Roumanie voisine pour entrer de plain-pied dans un état (à peu près) de droit renforcera l'idée que, décidément, l'Ukraine part de bien loin.


Le film de Mungiu nous racontait une Roumanie très rurale, celle de Transylvanie anciennement hongroise traversée par toutes les lignes de fuite en provenance d'Asie et d'ailleurs. Dans Le serment de Pamfir il ne sera question que de fuite. Se barrer de là. Et pourtant Leonid, alias Pamfir est revenu. Aller travailler des mois et des mois à l'étranger lui suffirait presque pour couler des heures sereines en compagnie de sa femme, de son fils qu'il n'a pas vu bien souvent et de ses vieux parents. Un pas de travers, des dettes qui s'accumulent et le voilà qui va devoir renouer avec son ancienne activité de passeur avec, justement le voisin roumain à quelques kilomètres de là.


On peut arrêter assez vite de parler géopolitique et crises migratoires pour se tourner vers ce qui fait toute la qualité du film: excellent film noir en vérité, traversé de moments de violence vraiment éprouvants, Le serment de Pamfir nous offre la radiographie d'une civilisation pas encore extirpée de la barbarie. Quand Pamfir et ses acolytes passeurs courent leur barda sur le dos, ils soufflent comme des bêtes de trait, quand sa famille se promène dans les bois, il s'agit de grogner plus fort que les autres, animaux et humains, qui raffutent dans les sous-bois. Quand Pamfir retrouve sa femme, il l'étreint à la fois avec douceur et avec poigne, et grogne comme un ours.


Le comédien Oleksander Yatsentyuk offre sa carrure de titan à ce personnage indolent en apparence et toujours sur le qui-vive qui nous prévient assez vite de sa capacité de destruction: au moment de retrouver son petit frère, jeune con qui fricote pas mal avec les malfrats locaux et se croit ainsi protégé, Leonid envoie un coup de poing terrible dans le sac de frappe sur lequel s'entraîne son frangin. Toute la grange tremble et rugit sous l'impact mais cette force colossale ne suffira pas à empêcher le pire. Son surnom, Pamfir, qui lui vient de son grand-père, de tempérament inflexible comme lui, signifie "pierre".

On pourrait penser que DSS procède par tours de force, par plans-séquence à l'estomac qui marque le savoir-faire d'un sacré cinéaste (c'est son premier film): lorsque Leonid fait la surprise de son retour en se déguisant en démon de paille dans la grange, la course effrénée dans les bois les colis de contrebande sur le dos, l'horrible baston dans le hangar (Pamfir contre 15 petits voyous, d'une sauvagerie totale, à deux doigts de nous rendre en mémoire celle de Old boy), un suspense insupportable autour d'un piège à ours ou encore cette fête de village sauvage où les hommes déguisés en démons gueulent et picolent en se vautrant aux pieds du potentat local, qui compte parmi les personnages les plus repoussant vus au cinéma depuis longtemps.


Comme dans R.M.N. toujours, Le serment de Pamfir est un film de filiation. Mais que penser de ces peuples, et de ces pères déjà détruits qui tentent une dernière fois de transmettre certains principes d'indépendance et de liberté à des enfants qui ont déjà vu le pire ? Encore un film qui vous fera voir la vie en rose, tiens, ça m'apprendra à ne pas aller aux chouettes petites comédies françaises avec de jolis acteurs tous frais qui rigolent en terrasse en se faisant des selfies. La civilisation sombre et nous regardons ailleurs, on dirait.



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