samedi 18 juin 2022

Incroyable mais vrai, les idiots de Schrödinger



Voilà un film qui ne réconciliera pas celles et ceux qui n'entravent rien au cinéma de Quentin Dupieux et de ses intentions, et qui ont du mal à saisir pourquoi le facétieux réalisateur de Rubber s'est taillé pareille place au coeur de la cinéphilie française. Pour preuve l'accueil en grande partie désemparé du public cannois, - pas toujours le plus à même d'apprécier les grands excentriques -, certains y allant même de leur diagnostic "coup de moue" ce qui est loin d'être le cas. Au fond, c'est toujours bien qu'un film de Dupieux désempare car c'est son objectif premier.

Comme toujours chez lui, "le plus c'est con mieux ça passe" officie en plein. De la banalité la plus pavillonnaire jaillira donc cette incongruité bien dans le goût de ce drôle d'Oizo de cinéaste: Marie et Alain (Léa Drucker et Chabat) apprennent que la maison qu'ils vont s'offrir possède un truc spécial: une sorte de passage spatio-temporel dont ils ne savent trop quoi penser d'abord, ni quoi en faire ensuite, mais on y reviendra.

Le hasard faisant que le couple s'installe à deux pas de la maison du patron et "ami" d'Alain, et de sa compagne (Benoit Magimel et Anaïs Demoustier, déchaînés) qui ont eux aussi un truc incroyable à leur dévoiler... on y reviendra aussi. C'est la bande-annonce assez géniale diffusée en salle et sur les réseaux sociaux, entièrement dévolu au culte du mystère, du secret et du tu-vas-pas-me croire, qui nous montre tous les protagonistes, agent immobilier inclus, y aller de leur phrase en suspens et de leurs formules préparatoires: je ne suis pas sûr de pouvoir te dire ce que j'ai à te dire parce que je suis persuadé que tu vas te moquer de moi.


Effectivement, l'annonce du "petit secret" du couple Magimel-Demoustier, tout entier dévolu à un fantasme masculin très anodin provoquera ses crises de rire dans la salle, aidé en cela par les mines enjouées, abasourdies ou pathétiques des quatre comédiens qui, par ailleurs, s'en donnent à coeur joie. Chabat au premier chef, très à l'aise dans le registre de l'huluberlu ahuri (n'est-il pas un peu et pour toujours la dépouille humaine abritant l'âme d'un clebs prénommé Didier?... mais on y reviendra) qui campe ici un personnage le plus à même de résister aux diverses irrationnalités du script. 

Ce qui est étonnant dans Incroyable mais vrai, c'est ce qu'il dévoile un peu plus les intentions morales du cinéma de Dupieux. Derrière ces petites fables absurdes, que d'aucun pourront juger vulgaires parfois (le gadget de Magimel, le franc-parler de Demoustier qui n'hésite pas à coller des mains au paquet en se qualifiant elle-même de "chaudasse") se cache toujours une quête de la véritable nature des protagonistes: c'était par exemple ne pas oublier que derrière l'obnubilé de la veste à franges se cachait un dangereux psychopathe (Dujardin dans Le daim), que malgré ses premiers abords de folle-dingue hurlante, Adèle Exarchopoulos dans Mandibules était une brave fille serviable, et la mouche géante du même film autre chose qu'un truc moche et idiot mais une bonne bête obéissante. Ainsi Dupieux nous montre combien il est en fait un grand moraliste. 


A la manière d'un conte de Voltaire (dont le cadre faut-il le rappeler, était souvent peuplé de surnaturel, d'incohérences et d'anachronismes sans nombre), Incroyable mais vrai est un conte sur la peur de vieillir et le mythe de la jeunesse éternelle. Marie se servira à foison du "conduit" de leur cave pour redevenir jeune et jolie (parce que adolescente, elle rêvait de devenir mannequin). Car cette fontaine de jouvence en forme de bouche d'égoût vous emmène direct... à l'étage du haut d'abord, 12 heures plus tard ensuite et... vous fait revenir 3 jours en arrière dans votre existence. On reconnait bien ici l'absurdité chafouine des idées de Dupieux, qui regarde ensuite ses protagonistes se faire des noeuds dans la tête avec ce théorème de physicien fou.

En étant tout entier occupé à s'offrir la toute nouvelle décapotable comme de tirer tout ce qui bouge, - en plus de son gadget fantaisie -, Magimel refuse d'obtempérer aux adjurations du temps qui passe et de la bedaine qui tombe et Marie de son côté finira un peu toc-toc. En un laconique tunnel narratif sans paroles assez magistral que d'autres auraient développé pour que le film atteigne l'heure 40 (il fait 1h15), Dupieux condense les semaines, les mois et les années qui passent après ces refus d'obéir aux impératifs du temps... ça n'est peut-être pas beau de vieillir, mais pas folichon non plus de refuser de rendre les armes. Petit détail qui croustille: on remarque qu'alors que les catastrophes s'enchainent dans leurs vies, celle d'Alain (Chabat) semble s'être fixée pour de bon au bord de cet étang où notre homme pêche à la ligne en compagnie de... son labrador (Didier est donc sorti de ce corps).


Et puis il y a ce chat. Car les animaux comme les objets inanimés (une veste, un pneu, une mouche...) ont toujours leur place dans le cinéma de Dupieux. Qu'est donc ce chat, celui de la voisine qui n'arrête pas de foutre le camp sans raison (en même temps madame, c'est un chat...), qui se retrouve souvent dans le jardin d'Alain et Marie, ronronne au-dessus de la plaque de leur conduit spatio-temporel, lui est-il arrivé de descendre dans le puits, de disparaitre 12 heures durant? Est-ce bien lui qu'on voit tout le temps et puis nulle part, et s'il lui est arrivé de faire comme Marie, se trouve-t-il qu'au moment où la caméra s'arrête sur sa tombe dans l'herbe (RIP le minou), il soit en même temps encore vivant, pas encore mort ailleurs ?... 

Vous avez 4 heures.


A noter qu'entre autres problèmes métaphysiques de taille et comme on est en pleine préparation du bac philo, le mystère de la présence métaphorique ou pas de fourmis dans la pomme jadis pourrie (avant de passer par le conduit dans la main de Marie) offre une nouvelle approche du pêché originel qui ne serait donc pas la tentation charnelle coupable entre un homme et un femme comme on nous l'a si souvent rabâché, mais la tentative de masquer les ravages du temps par des camouflages cosmétiques de surface. Car en dessous la vie grouille.

Vous aurez de nouveau 4 heures.


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