jeudi 23 juin 2022

Frère et soeur, l'hystérie préfabriquée.

 



On est un peu énervé après avoir vu le dernier Desplechin malgré que ce soit un cinéaste qu'on aime bien malgré tout, voire beaucoup, à qui on a même pardonné Les fantômes d'Ismaël et Roubaix, qui nous sont sortis direct par les trous de nez. Il nous revient avec non pas ce qu'il sait faire de mieux, mais ce qu'il préfère nous montrer: le spectacle usant de familles déchirées, de tous ces gens intelligents à qui il arrive de grands drames tout comme ils se braquent pour ce qui, vu de là, apparait comme des broutilles.


Alice et Louis se détestent, la grande soeur et le petit frère ne peuvent plus se voir. L'une tombe en catalepsie lorsqu'ils se croisent, l'autre s'est exilé à mille bornes pour être sûr de ne plus la voir. Elle est actrice, il est écrivain. Sans doute est-elle une grosse pénible égocentrée affligée que ce petit con puisse lui faire de l'ombre, peut-être est-il un sacré blaireau qui se venge en distillant de l'autofiction traitresse dans ses écrits. On s'en fout de pourquoi ils sont des teignes l'un pour l'autre, ce ne sont pas nos affaires.

Pour les attacher un peu à nos coeurs de midinettes, Desplechin charge la barque à trémolos en enchaînant en moins de dix minutes, pas les plus mauvaises d'ailleurs, un flash-back sur la mort du gamin de Louis, âgé de 6 ans, puis sur un accident de la route fatal dont sont victimes papa-maman. Cela vaut la peine de s'attarder sur cette scène d'ailleurs, montée comme un rasoir gilette double lame: une jeune femme perd le contrôle de son véhicule pour s'encastrer dans un arbre, le vieux couple s'arrête pour lui prêter assistance, un 38 tonnes déboule dans le virage et perd le contrôle au même endroit. Dans un film de Quentin Dupieux ou de Mel Brooks, on aurait vite enchaîné sur un tremblement de terre ou un incendie de forêt, avec le véhicule des pompiers qui n'arrive pas à démarrer et un médecin-urgentiste incarné par Ben Stiller qui part dans la mauvaise direction à cause d'un GPS qui déconne. Autrement dit, la scène la plus poignante du film est un gag.


On rigole mais c'est affreux: voir le réalisateur de La sentinelle ou des 3 souvenirs de ma jeunesse en être arrivé là, ça colle un peu le bourdon. Bardé de ce deuil imminent, mamy dans le coma et papy branché de partout, quelque chose comme de la compassion s'installe malgré nous pour ces deux affreux dont on ne comprendra finalement jamais les motifs de la brouille, ni pourquoi tout à coup, complètement à la fin, tout est pardonné à la faveur de deux ou trois répliques bidon.

Il y a Roubaix, Lille, des personnages torturés qui fument, picolent et sniffent beaucoup et si à quelques moments on devine vers quoi Desplechin lorgne, via quelques indices en forme de clin d'oeil (l'entrée des artistes sous la pluie, cette admiratrice paumée, le verre de gin au petit déjeuner, les colères sans fondement), Marion Cotillard ne sera jamais la Gena Rowlands d'Opening night ou d'Une femme sous influence, et Desplechin n'est sûrement pas Cassavetes non plus. Les personnages à fleur de peau à la bipolarité explosive sont des blocs intuitifs chez Cassavetes, émouvants par leurs excès mais surtout parce qu'ils pourraient être nous-même en phase de perdition. Chez Desplechin ne sont que des cabots prétentieux et exclusifs, pour qui une distribution de baffes ne seraient pas du luxe.


Idem pour cette scène pétage-de-plomb avec Marion à la pharmacie qui réclame ses anxiolytiques et un verre d'eau fissa, la comparaison avec le grand numéro de Julianne Moore dans Magnolia fait peine. "Qu'est-ce-que vous savez de ma vie, hein ?..." braille Alice au gentil pharmacien qui s'inquiète pour elle. Eh bien justement Alice, j'allais te le dire: on s'en fout.


Dans Rois et reines, il y avait ce fameux monologue de Maurice Garrel à l'adresse de sa fille qu'il déteste, cela jetait un froid mais expliquait le mal-être général comme le déséquilibre du personnage incarné par Emmanuelle Devos. Cela crevait un abcès. Les problèmes de la fratrie malade de Frère et soeur semblent tellement préfabriqués que lorsqu'ils se dégonflent, cela ne fait plus ni chaud ni froid puisque ce conflit, au fond, n'avait aucune raison d'être. Ce film non plus d'ailleurs. 

Vraiment, ces deux-là qui auront accaparé notre attention pour des prunes tout un film durant, on n'a pas du tout envie de les connaitre plus que ça.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire