dimanche 8 mai 2022

Murina, harponner le père.

 


Ante est l'heureux propriétaire d'un immense coin de paradis sur la côte dalmate qu'il aimerait bien vendre pour filer vivre à Zagreb avec sa petite famille dans un bel et grand appartement. C'est son rêve et ce à quoi il travaille depuis des mois en invitant en ce bel été son "meilleur ami", Javi, prestigieux homme d'affaire et self-made-man aventurier, qui arrive en yacht avec quelques investisseurs.

Ante ne possède que des trésors mais il néglige les principaux: il y a cette grande maison d'accord , ces kilomètres de crique sous ce magnifique ciel bleu, cette mer de rêve bien sûr mais il y a aussi son épouse, ancienne reine de beauté, belle et transparente et sa fille Julija, surtout. 17 ans, corps de sirène et petits airs butés de garçon manqué, Julija passe sa vie dans l'eau et en monokini, bleu ou blanc. On devine assez vite que le rêve de son père n'est pas le sien et que sa mère, étouffée depuis longtemps par l'autorité ombrageuse d'Ante, n'aura pas son mot à dire.

La fable imaginée par la réalisatrice Antoneta Alamat Kusijanovic a le mérite d'être claire (trop claire ?) et dessine ses enjeux dès les premières scènes. Rester ou partir n'est pas le plus important, le tout c'est d'échapper à la main mise de cette figure paternelle archaïque, qui semble appartenir à un autre temps. L'arrivée de Javi dans ce microcosme familial et dans ce paysage de vieilles pierres pourra sembler un moment être cet appel d'air que Julija appelait de ses voeux, allant jusqu'à jouer sur la possible passion amoureuse qui auraient existé entre sa mère et Javi, voire à trouver en lui un père de substitution.


Le grand mérite de Murina est d'opposer à cette figure viriliste de paternel à la fois dépassé par les événements et incroyablement borné le tempérament tout en contorsion de Julija: sa sempiternelle tenue de plongée lui confère quasiment un corps de super-héroïne, moulée dans une couche de néoprène qui la rend insaisissable, sous l'eau comme sur terre. Un corps toujours prêt à plonger, à se faire la malle ou à se retourner le fusil à harpon pointé sur vous, le regard indéchiffrable. "Tu as des épaules d'homme" lui jette son père en la voyant déambuler dans la maison en maillot de bain, histoire de la dévaluer un peu, histoire de s'expliquer pourquoi sa propre fille ne se plie pas à tous ses diktats. 

Dans une robe de soirée qu'on l'oblige à enfiler pour une grande occasion (accueillir Javi et ses riches amis), elle semble aussi à l'aise qu'un poisson rouge dans un imperméable. Lorsque son père l'incite à réciter un poème à table, elle oublie les strophes à sa gloire, justement.


Non seulement on ne pas pas l'attraper, ni la forcer à quoi que ce soit, mais on ne peut pas l'enfermer non plus. Dans cette cave où elle se retrouve punie, il y a une trappe qui donne sur la mer. Julija passe son temps à ça, justement, traquer les murènes dans les anfractuosités de la roche. Ses endroits où elles se planquent mais par d'où on peut s'échapper, aussi. Le meilleur moment du film sans doute est celui-là, quand le cours de l'action risque de transformer la jeune femme en créature fantastique d'un entre-monde entrevu lors des belles séquences de plongée, ou glisser vers un règlement de compte parricide, lorsque la naïade remonte furieuse à la surface, une pierre dans la main. Ce ne sera ni l'un ni l'autre.


Décevant peut-être, les intentions de la réalisatrice manquant sans doute d'audace, mais une certaine radicalité est là quand même: quitter ce père étouffant, cette mère d'aucun secours, cet "amant" potentiel mais vain. On pense un peu au Retour de Zviaguintsev, dans lequel deux gamins voyaient disparaitre l'ombre assommante de leur père sans s'en porter plus mal. On ne choisit pas sa famille, mais on peut la fuir, quand même.

Encore heureux.

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