samedi 21 mai 2022

Evolution, Homo Auschwitz

 


La dernière fois que l'Holocauste s'était invitée de manière marquante dans un long-métrage de fiction c'était, de mémoire,  dans Le fils de Saul de Laszlo Nemes qui nous faisait suivre en temps réel et avec une caméra qui "marquait à la culotte", comme chez les Dardenne, un membre des Sonderkommando à Auschwitz dans ses stratagèmes pour s'enfuir. Pour éprouvant qu'il était, le film pâtissait pas mal de sa volonté de marquer la conscience de son spectateur par une sorte de "mise en situation" que d'aucun aurait répudié en des temps plus virulents; je ne me rappelle pas avoir lu de tribune à la "travelling du kapo" sur ce film, ni d'avoir entendu Claude Lanzmann qui surveillait comme du lait sur le feu toute tentative malencontreuse d'incursion de la fiction dans ce champ historique-là. Mais peut-être que j'ai tout oublié.

Il n'y a pas de manière appropriée de raconter la Shoah en fiction. Spielberg en avait fait les frais, s'attirant les foudres du susnommé avec ce mélange de rigueur intellectuelle... et de mauvaise foi colérique qui le caractérisait pas mal. On peut se rendre compte alors que les oeuvres littéraires les plus marquantes sont celles qui proviennent d'une expérience personnelle, du vécu: de Primo Levi à Art Spiegelman, il faut y avoir été ou avoir été "fils de" pour pouvoir en témoigner en toute connaissance de cause. Avoir vécu les horreurs du ghetto de Varsovie pour pouvoir en témoigner (Polanski).


Or, la légitimité de Kornel Mundruczo est là: arrière petit-fils de rescapés de la Shoah, qu'a-t-il à en dire ? Pas grand chose bien sûr, si ce n'est qu'il peut témoigner des ravages provoqués par cette expérience inhumaine au sein d'une famille, comment elle infusera dans les générations à venir à travers des comportements susceptibles d'abimer des personnes qui n'y étaient pas mais sont "fil(le)s de", "arrière-petits-enfants de", jusqu'aux résurgences d'un antisémitisme plus contemporain, larvé, toujours prêt à fourbir ses armes les plus aiguisées contre des personnes qui, elles, savent que tout peut recommencer.

Je ne sais pas si le film de Kornel Mundruczo fera date, mais il est sans doute le premier à rendre compte de cette réalité. Evolution est un film dont on retiendra le souffle et les parti-pris pour le moins gonflés.


Cela commence à Auschwitz, dans un plan-séquence incroyable dont on ne comprendra les enjeux que petit à petit, et la folie qu'en sortant de la salle. Un moment de cinéma unique qui ne montre qu'une sauvagerie sublimée, une barbarie enfouie de façon littérale dans les murs des chambres à gaz.

La folie toujours à la fin du second segment qui s'achève sur des canalisations qui explosent dans cet appartement où une vieille femme et sa fille ont une nouvelle fois réglé leurs comptes pour expliquer l'absence de tendresse de l'une et la colère de l'autre pour cette mère qui a toujours mis son expérience de déportée avant sa propre vie.

Evolution bâtit sa structure autour de trois générations et de trois plans-séquence qui en font aussi, - c'est sa coquetterie - trois morceaux de bravoure assez tape-à-l'oeil. 



Qu'importe, le film s'apaise et s'affaisse un peu avec ce troisième segment plus contemporain qui nous montre d'autres enjeux qui se règlent de manière bien plus futiles. S'apaise et s'affaisse, vraiment ? On n'en est pas sûrs du tout: un jeune homme se fait stigmatiser parce qu'il ne connait pas tel rituel catholique (il est d'origine juive), se fait pas mal emmerder à la sortie du lycée à cause de ça, tombe amoureux d'une jeune musulmane qui s'est faite raser les cheveux par son père parce qu'elle se les étaient teints en bleu. On devine que leur avenir d'amoureux, quand le film s'achève, vivra des jours compliqués.

Mes très chères soeurs, mes très chers frères, nous voilà pas encore tout à fait sortis de l'auberge.


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