jeudi 26 mai 2022

Nitram, mass-murderer mondialisé.

 


Le dénommé Martin Bryant assassina plus de 30 personnes en 1996 pour ce qui reste un des pires "mass-murder" commis sur le sol australien. On dit que le massacre de Port Arthur en Tasmanie enclencha donc aussitôt une révision des textes de loi sur la possession des armes d'assaut. 

Nous sommes fin mai 2022, et en l'espace de 15 jours à peine, l'Amérique s'est rappelé à notre bon souvenir en enchainant coup sur coup deux tueries du même type, au moment où se tient le congrès annuel de la National Riffle Association en présence d'un ancien président orangé. La NRA qui fut créé, rappelons-le, sur les cendres du KKK de force dissolu. Mais passons...


L'Australie est un point de réverbération assez exact de cette Amérique qui produit elle aussi ses monstres en série. Mondialisation de l'horreur. Le tueur de Chopper (Andrew Dominic, 2000) faisant écho à n'importe quel serial-killer texan du cheptel, Wolf creek (Greg McLean, 2005) remplaçant assez bien le Massacre à la tronçonneuse emblématique de Tobe Hooper, tout comme le Animal kingdom de David Michod (2010) qui offrait une variation wallaby à la famille de criminels endurcis comme on en croise dans maints films ou romans situés dans les Appalaches ou ailleurs. Sans parler des grands espaces, lieux communs à ces deux terres emblématique d'une "liberté individuelle"... très 2ème amendement.

Nitram raconte donc comment un jeune homme pas franchement équilibré en arriva un jour à s'offrir tout un attirail de guerre et décida un de libérer la bête. On a déjà vu ça ailleurs, et le film de Justin Kurzel ne nous en apprendra pas beaucoup sur la psychologie de base du sociopathe en phase finale de pétage de plomb. Toujours à distance de ses personnages, Kurzel sème quelques éléments troublants qui gagnent notre intérêt: une mère attentive et qui sait que son fils, incapable de se caser ni de trouver un job, définitivement exclu des gens de sa génération, a plus que des petits problèmes (malgré son look de rock-star hippy, il ne sait pas surfer, peut-être même pas nager). Une mère qui fait beaucoup penser à Tilda Swinton dans Il faut qu'on parle de Kevin, persuadée d'avoir engendré un monstre mais mieux capable, elle,  de se le formuler. Quand au père, nounours dépressif qui joue sans succès à faire copain-copain avec son gosse tout en se voilant la face, il en sera la première victime.


Dans ces deux rôles, on est heureux de retrouver la grande Judy Davis, impeccable en femme de tête déchirée entre son attachement maternel et le besoin de couper les ponts, ainsi que l'excellent Anthony LaPaglia qu'on n'avait pas vu aussi juste depuis Lantana.


Et que dire de Caleb Landry Jones, grand échalas au corps mou et au profil de créature amphibie, dont le prix d'interprétation à Cannes n'est certes pas volé. De tous les plans, l'acteur parvient sans problème à passer du grand enfant idiot - ou qui fait très bien semblant, c'est la grande ambigüité du personnage - à la bête irascible en un battement de cil. Ce que le film nous explique in fine dans son générique de fin (la prise de conscience d'un pays face à la prolifération des armes dans les foyers australiens) dans son souci de pointer les manquements d'un Etat face à son grand danger intérieur, il reste un angle mort de non-dits, jamais pointé du doigt et qui pourtant crève les yeux: et pourquoi ce genre de "cas" dangereux n'est-il pas mieux cerné, surveillé et soigné ?


Côté cinéma puisque c'est ce qui nous intéresse, on dira que Justin Kurzel fait le job mais ne s'embarque jamais trop loin. Faisant confiance à ses acteurs mais surtout à son protagoniste très haut en couleur et à l'excentricité patente de certains de ses personnages dont cette Helen (Essie Davis), la richissime célibataire qui "adopte" Nitram dans son immense barraque au milieu de ses chiens, ses chats et de ses souvenirs de comédienne déchue, avec laquelle il trouvera presque un point d'équilibre entre son hyperactivité jamais repue et ses accès de subite déglingue (s'amuser à tirer dans les vitres d'une caravane avec son fusil à air comprimé, allumer des fusées et des pétards jusqu'à pas d'heure, donner des coups de volant sans crier gare pour effrayer le conducteur). Cette femme entre deux âges sans doute aussi borderline que lui mais dans une autre sphère, qui ne semble jamais porter de jugement sur sa personne et ainsi le repose de tous ceux, - tous les autres -, qui l'ont toujours soit jaugé avec effroi ou traité par la moquerie.

Justin Kurzel avait fait plus d'efforts avec Les crimes de Snowtown dans lequel il racontait l'installation progressive et l'emprise d'un psychopathe au coeur d'une famille dysfonctionnelle. Il parvenait à y retranscrire le lent processus d'intoxication d'un foyer par un corps étranger. Ici, il se contente de filmer presque de loin, s'avançant avec prudence sur un terrain dont, après tout, les psychiatres n'avaient même pas daigné s'occuper. C'est sa prudence autant que son honnêteté, comme de laisser hors-champ les meurtres eux-mêmes, bienheureuse ellipse que là encore on aura déjà vu ailleurs. Reste un film avec de sacrés numéros d' acteurs, ce qui n'est déjà pas si mal.




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