mercredi 15 mars 2023

GOUTTE D'OR, sans familles


 Pour une fois qu'on nous filme autre chose de Paris que ce qu'il y a de joli à voir, nous n'allons pas nous plaindre. Longtemps que je n'avais pas vu filmer la ville comme ça, comme au ras du bitume, plus proche du caniveau que des dorures du palais Garnier. Si Goutte d'or m'a rappelé quelque chose, ce serait Neige de Juliet Berto & Jean-Henri Roger, peut-être aussi un peu S'en fout la mort de Claire Denis, deux films qui s'attachaient à nous montrer quelque chose de la nuit et des ombres qui y travaillent, un Paris canaille qui compte ses biftons avec des mains sales, un Paris voyou.

Ramsès en est un, de voyou, lui dont la petite entreprise de voyance fonctionne plein gaz au coeur de Barbès. Un complice dans la salle d'attente et lui qui raconte à ses clients ce qu'ils ont envie d'entendre sur l'être cher disparu. Sur le système micro-économique que le business de Ramsés engendre, le film se fait clair et lapidaire. C'est "du travail" comme il le dit lui-même, et même si tout se passe en sous-main, argent au black de la main à la main, échoppes perdues en banlieue où on refourgue tout et n'importe quoi à prix discount mais payé cash, Goutte d'or nous montre comment survivre dans ce milieu, comme David Simon nous montrait les rouages du business du deal à Baltimore dans The wire. Une économie, du travail, là aussi.


Une économie qui se ressent aussi dans les manières de Clément Cogitore, dont c'est le deuxième long-métrage de fiction seulement, et qui nous montrait déjà dans Ni le ciel ni la terre, une guerre filmée autrement. En instillant ici encore une dose de fantastique, il immisce dans le train-train de Ramsès un mystère qui ne s'explique pas. Ou comment cet escroc patenté est justement traversé d'une vision (où se trouve le corps de ce gosse disparu qui lui a braqué son médaillon) qui va le bousculer, et l'amener à fréquenter une bande de gamins sans attaches qui vivent de rapine et dorment dans les squares.


Dans ses meilleurs moments, Goutte d'or nous invite à voir une réalité violente et brutale qui est le quotidien de beaucoup. On y arnaque, on y vole, on y tabasse. Tout est traversant dans le quotidien de Ramsés, il lui suffit de franchir le palier pour passer de son appartement à son "cabinet", les voyous entrent chez lui comme dans un moulin en escaladant les échafaudages de chantier collés à sa façade, et le vigile de parking qu'il a chargé de surveiller son logement se retrouve dans sa cuisine au beau milieu de la nuit. C'est seulement à la porte de son père, dont on comprend qu'il a hérité d'une sorte de don, qu'il se retrouve à montrer patte blanche, échangeant avec lui de drôles de formules magiques comme pour passer d'un monde à l'autre. Lui dont le boulot consiste à rassembler les familles entre les morts et ici semble fuir un quelconque rapprochement avec son père, comme ces enfants des rues ont fui la leur.


Les limites du film de Cogitore tiennent à ce qu'il ne veuille pas s'embarquer pour de bon ni dans le social, ni dans le polar, ni vers le merveilleux. Goutte d'or se réserve des issues de secours dans tous les coins du scénario, jusque dans cette scène révélatrice où la mère d'un des enfants des rues revient pour le récupérer, et que celui-ci s'échappe à travers une bâche de chantier. Glissant comme une anguille, son cinéma mériterait sans doute plus d'attaches, devrait peut-être faire plus de sentiments pour rendre ses personnages plus attachants. 

C'est le défaut comme la qualité d'un film qui possède cet avantage sur la production courante de vouloir filmer autre chose que du tout-venant, en n'appliquant aucune grille morale, et surtout pas moralisatrice, sur un scénario qui s'y prêtait pourtant facilement. Ce refus permanent de son cinéma d'entrer dans le moule, visible déjà dans ses court-métrages ou dans son étonnant documentaire Braguino, et de ne surtout pas ménager son spectateur en ne le suivant pas dans ses habitudes et en refoulant les bons sentiments, forcent le respect.

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