dimanche 12 mars 2023

BABYLON, Hollywood zombies

 


Au départ, moi je voulais aller voir ce drame chinois parait-il magnifique sur les ravages des politiques productivistes dans la Chine agricole moderne, et puis un ami plus fan de Tom Cruise que de Hou Hsiao-Hsien m'a emmené voir Babylon

C'est bruyant, Babylon. C'est très mouvementé, franchement vulgaire et totalement hystérique, mais j'ai adoré. Adoré quoi ? Un peu tout en vérité. J'ai aimé qu'un film à gros budget démarre sur une chiasse d'éléphant sur la tête de son dresseur, enchaine sur une starlette compissant un gros pourceau les narines farcies de coke, en se pintant au champagne, que Margot Robbie vomisse sur le tapis persan de la meilleure société après s'être gavée de feuilles d'endives au guacamole, ses couples qui forniquent dans la salle de bal, Brad Pitt besognant la jolie serveuse au balcon, Brad Pitt se cassant la gueule du toit pour atterrir en plaqué dans sa piscine, la starlette en overdose, Brad Pitt bourré gravissant la colline pour filmer l'ultime plan de la journée, et se dégrisant recta au premier "moteur!". J'ai même adoré, figurez-vous, le passage complètement trash avec Tobey Maguire.


Mais après, est-ce la peine de chouiner si personne n'a été voir le film en salles aux Etats-Unis ? D'accord, il y a les plateformes, tout ça. Le prix des billets, et puis il faut prendre la voiture. mais le film ne s'est-il pas planté tout simplement parce qu'il y allait trop fort ?

Mais revenons à nos éléphants. Dans ce qui reste un des plus bel hommage à l'âge d'or du muet, Good morning Babylone ! des frères Taviani, des éléphants harnachés avec majesté étaient dressés et conduits pour jouer les figurants sur le plateau d'Intolérance de Griffith. L' éléphant du film de Chazelle est amené à la party pour faire s'élever un peu plus le niveau sonore et d'hallucination d'une assemblée déjà complètement faite, et majoritairement à poil, évanouie, ou les deux en même temps. Autrement dit, Damien Chazelle et les Taviani ne nous racontent pas la même chose.


Mais quoi alors ?

Vendu comme une superproduction sur les premiers temps de la décadence de Hollywood, on n'a pourtant pas l'impression de voir un film sur les temps du muet, mais sur le cinéma de plus tard. Cet éléphant rappelle surtout celui peint en rose et qui finit tout pailleté dans la piscine de The party de Blake Edwards. De la même manière, la première apparition de Brad Pitt nous le montre baratinant son épouse du moment en un italien ridicule (Inglorious basterds), Margot Robbie se précipiter dans une salle de cinéma pour se voir dans son premier film (elle qui jouait Sharon Tate dans Once upon a time... et qui faisait la même chose). Jusqu'à ce passage étonnant où l'acteur incarné par Pitt, très emmerdé, se glisse sur le plateau d'une comédie musicale sur l'air de Singin' in the rain aux premiers temps, fatals pour lui, du passage au parlant.

L'impression troublante d'assister à un défilé de cadavres ambulants (tous ces gonzes finiront suicidés, overdosés, oubliés, effacés) culmine en cette drôle d'apparition du grand nabab Don Wallach incarné par un comédien qui est le sosie parfait d'un certain Harvey Weinstein. Autrement dit, pour en savoir plus sur cette période mirifique et décisive de Hollywood, précipitez-vous plutôt sur le bouquin sensationnel de Kevin Brownlow, La parade est passée, qui raconte tout ça de manière plus mesurée.


Dans le livre de Brownlow, il est effectivement question de tournages dangereux (des courses-poursuites filmées dans la circulation, des techniciens et des figurants souvent conduits à l'hôpital aux frais de la production, des tournages mortels comme celui du Ben-Hur de Fred Niblo en Italie) mais ce que montre Chazelle sur le tournage de ce film de chevalerie avec mille figurants est très exagéré (un mort, des dizaines de blessés graves). On appréciera mieux cette description des "plateaux" de tournage en plein désert, dans un bordel hallucinant, les galères pour se procurer une caméra qui fonctionne avant que le soleil ne se couche, ou la méticuleuse recension du premier film parlant tourné par Nellie LaRoy (Robbie) avec les toutes nouvelles et très pénibles astreintes de la prise de son.

Autrement dit, Chazelle a voulu réactiver la mythologie, - si on peut appeler ce petit bout d'histoire de l'art comme ça - du cinéma muet en le gavant de speed, de Tarantino, de techno (jamais des orchestres de jazz n'auront produit autant de boucles hypnotiques, à rendre jaloux n'importe quel DJ de rave party), et en lui insufflant de cet excellent esprit insufflé par Kenneth Anger dans son infernale Hollywood Babylone, bouquin qui refait l'histoire de Hollywood en la scrutant par le trou de serrure des chiottes: quelle star avait la plus grosse, lesquelles consommaient des drogues et en quelles quantités, quelle vedette s'est faite surprendre au plumard avec des mineur(e)s/des pédés/des gouines/des Noir(e)s/des Nain(e)s/des animaux, dans quels lieux emmener votre moitié pour les meilleures partouzes de L.A., tout ça.


Kenneth Anger qui fut un des inspirateurs du grand James Ellroy lorsqu'il commença à travailler sur son Quatuor de Los Angeles, et dont les relents d'hyper-violence, voire de putréfaction se font ressentir dans le passage hallucinant où le personnage incarné par Maguire (il est mort et bien mort, le mignon Peter Parker...) emmène le gentil Manny (l'excellent Diego Calva, subtil mélange d'Antonio Banderas et de Javier Bardem jeunot) visiter son Pleasuredome des enfers. Ce qu'on y découvre est tellement dégueulasse, tellement outrancier qu'on en vient effectivement à penser aux passages les plus démesurés de l'auteur du Dahlia noir lorsqu'il décrit les pires endroits de luxure en lâchant la bride à son écriture... colorée.

Là encore, drôle d'effet de projection vers le futur: Singin' in the rain et le Dahlia appartiennent aux 40's, et la seule véritable émotion provoquée par Babylon proviendra de ce très beau pré-générique de fin qui se projette en un avenir du cinéma, convoquant des bouts de John Ford, de Godard, Bergman, Hawks, de tout le monde. Chazelle nous faisait le même coup dans le final tire-larmes de La-la-land (un passé imaginé mais jamais vécu montré en accéléré sous le regard mouillé des deux ex-amants). Si c'était pour nous dire que le pire comme le meilleur se perpétuaient à travers les décennies, les grandeurs comme les abus, merci on le savait déjà.


Mais croiser Harvey Weinstein dans les 20's, Brad Pitt déjà empêtré dans ses problèmes d'alcool et de divorce (il en a fait exprès c'est sûr, mais l'actrice anonyme qu'il embrasse en haut de la colline sur fond de coucher de soleil ressemble vraiment beaucoup à Angelina...), Margot Robbie faisant sa Harley Quinn et sa Sharon Tate dans des films muets alors qu'ils n'étaient pas encore nés, nous révèle sans doute les véritables aspirations de Babylon, film d'une sauvagerie inouïe, et bénie en ces temps de morne moralisme chiant. Chazelle filme ses pantins hauts en couleur comme des zombies qui sans cesse reviendront sur vos écrans, vous feront bouffer du pop-corn, vous feront acheter la presse people.

Ils reviendront, vous y reviendrez.

Autant dire qu'au beau milieu de ce barnum, les figures "morales" (Reggie le trompettiste, qui a le bon sens de se barrer de cette usine d'aliénés) voire moralisatrices malgré leur cynisme (la critique Elinor St John, qui a déjà vu passer des cargaisons de tristes destinées) s'en tirent, oubliées à jamais sans doute mais saines et sauves .

Brad Pitt et Margot Robbie sont assez gigantesques tous les deux, et on saura gré à des stars pareilles de ne pas y être allé, comme leur réalisateur, avec des moufles.



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