mercredi 1 mars 2023

THE FABELMANS, Spielberg maison.

 


Sur le dernier Steven Spielberg, que voulez-vous que je vous dise ? Pour une lecture sourcilleuse, passionnée et cohérente de The Fabelmans, procurez-vous donc les derniers numéros de Positif ou des Cahiers, ils en causent très bien. Comment, d'après vous, peut réagir un cinéphile comme moi devant un film pareil ? 

J'en entends et j'en lis pas mal qui pinaillent ici et là au sujet du grand homme, arguant qu'il n'est peut-être pas le grand cinéaste qu'on a pu voir en lui, que tout ceci n'est que puissance marketing, pur attachement adolescent, poudres aux yeux, chichis, paillettes. C'est sûr qu'il sait y faire pour vendre ces films, le bougre. On se moquait des campagnes de promotion outrancières qui ont accompagné les sorties du dernier Asterix ou du deuxième Avatar, mais le tapis rouge déployé aux pieds de son dernier opus, c'est pas mal non plus.

Mais tout ceci n'a que très peu d'intérêt. D'abord, coupons court et entendons-nous bien: lorsqu'on aime le cinéma, faire son petit nez retroussé devant le réalisateur de E.T., c'est ridicule, ça ne sert à rien. Je veux bien que faire son intéressant participe à se tailler une personnalité dans ce monde d'indifférence, mais c'est un peu comme clamer ne pas apprécier les compos de Lennon & McCartney lorsqu'on aime la musique pop-rock ou se prétendre mélomane et trouver Mozart indifférent.


Désolé, et même si je trouve comme tout le monde que Steven à l'emphase bien souvent trop explicite, qu'il sait comme personne vous faire monter la larme à l'oeil et vous en coller plein les mirettes en deux temps trois mouvements, cet homme possède ce petit truc en plus qu'on ne saurait lui discuter: une passion totale pour le cinéma qui a toujours été contagieuse.

Comme l'époque est aux récits autobiographiques, The Fabelmans arrive après les derniers James Gray et P.T. Anderson, en même temps que le dernier Sam Mendes qui tente lui aussi, parait-il, de nous parler de l'Angleterre de son enfance. Un peu comme si les cinéastes importants (enfin pas tous, parce que Mendes, euh...) réalisaient non pas qu'il leur restait peu de temps (Gray et Anderson ne sont pas encore dans la soixantaine), mais qu'il fallait faire un point avant qu'un certain cinéma ne disparaisse.


The Fabelmans
est un excellent film, un très bon crû spelbergien. Sans savoir où le placer dans mon ordre de préférence (disons que si j'ai détesté de lui Empire du soleil par exemple, je suis un fan éperdu de 1941 et de Cheval de guerre, entre autres), il surprend moins par son contenu autobiographique que celles et ceux qui le suivent connaissent bien (sa découverte interloquée de la puissance émotionnelle du cinéma, sa pratique précoce du filmage encouragée par sa famille, le traumatisme de la séparation de ses parents, leur amour profond, la difficulté d'être juif dans un lycée WASP des années 60) que par ce qu'il raconte justement d'un cadre familial qui échappe, pour le moins, à la vision "american way of life" idéalisée qu'on lui a souvent reproché de véhiculer dans ses films.

Ce sont les grands chocs du cinéaste qui est le seul à voir la vérité sur sa table de montage (la liaison de sa mère), qui peut régler ses comptes à ses ennemis en les mettant en boîte dans un film de fête de lycée (grand moment de vérité dans lequel il montre un camarade harceleur sous les traits d'un Dieu du Stade digne d'un film de propagande nazi, ce qui met ce dernier hors de lui, puis complètement par terre). Beaucoup ont repéré le clin d'oeil à Blow out de De Palma ou au Blow up d'Antonioni, mais ne pourrait-on simplement y voir comme la divulgation d'un fameux secret de cuisine: montrez les gens et les choses sous un angle exagérément ensoleillé au point d'en faire des entités irréelles ? Là-dessus Spielberg nous en raconte beaucoup sur son art: apprendre à couper ce qu'on ne saurait voir (les défauts et les vices de l'existence), trouver le bon angle pour en capter la grandeur comme le ridicule.


C'est aussi la première liaison amoureuse de notre héros, passage aussi déconcertant que poilant où une fille littéralement perchée s'entiche de lui parce qu'il est est juif comme son idole, Jésus. Un apprentissage de l'amour qui, entre la relation triangulaire intenable de ses parents avec l'"oncle" Bennie (Seth Rogen) et les raisons absurdes de l'affection de la très bigote mais dévergondée Chloë se fera sous les doux auspices d'une affection permanente. La "gentillesse" souvent moquée de Spielberg - et c'est ce qu'il nous montre ici - provient en droite ligne de cette figure paternelle désarmée (Paul Dano) toujours prêt à protéger la femme qu'il aime même si elle le trompe, autant que de celle de sa mère (Michelle Williams, borderline, formidable) qui s'accrochera jusqu'au bout à son ménage malgré la dépression carabinée qui la guette.


Spielberg n'a jamais tourné de Dernier tango à Paris mais c'est lui, rappelons-le, qui attribua la palme à La vie d'Adèle de Kechiche, un film aux antipodes de son cinéma. S'il n'a jamais osé filmer la passion amoureuse même sous la forme d'un Sur la route de Madison, c'est qu'il sait que sa pudeur naturelle, héritée de son père, ne saura pas montrer ces feux-là sous leur vrai jour. Gageons que cela restera pour toujours l'angle mort majeure de sa filmographie, et qu'il ne s'en est jamais autant rapproché qu'ici.

Alors oui, beaucoup de trémolos sans doute, quelques larmes en trop, mais quel hommage, et quelle tendresse. Facile dès lors de défier quiconque de ne pas aimer The Fabelmans. Aussi difficile à vrai dire que de ne pas fredonner Hey Jude lorsqu'il passe à la radio ou de ne pas trembler sous les premiers choeurs du Requiem de Mozart.


Quant à l'ultime séquence du film, dans laquelle l'excellent Gabriel LaBelle finit par ressembler vraiment au jeune Spielberg débarquant à Hollywood dans les 70's, coupe de cheveux comprise, la cerise sur le gâteau arrive avec la présence lapidaire d'un immense cinéaste croisé un peu par hasard qui lui lâche un conseil entre deux nuages de cigare (cette scène-là, tout cinéphile digne de son nom se la gardera derrière l'oreille pour l'éternité). L'autre figure tutélaire du film étant l'oncle Boris (Judd Hirsch), vilain petit canard de la famille ayant adopté la vie d'artiste et qui ne lui dira rien d'autre, en substance, que ceci: s'éloigner des siens pour  vivre pleinement en artiste et en souffrir toute sa vie, ou renoncer à son idéal, et souffrir encore plus.

Avec le conseil de John Ford sur l'art de filmer l'horizon, le jeune Sammy Fabelman était donc paré.




1 commentaire:

  1. Très belle chronique, Rongemaille. C'est mon premier commentaire ici. Je vous l'adresse alors que j'ai vu le film hier seulement. Grand moment. Je me retrouve beaucoup dans ce que vous écrivez. Merci pour la défense de l'ami Steven ! Et que voulez-vous que je vous dise ? Je ne sais. Mais je reviendrai sûrement...

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