samedi 25 mars 2023

Un passager, Aldo Moro, des Métavers et la campagne chinoise.


Cormac McCarthy aura 90 ans cette année et après quelques années de sommeil littéraire (on oubliera sa contribution au scénario du pénible CARTEL de Ridley Scott), il nous revient avec deux romans, rien que ça. STELLA MARIS sortira en avril.

Bobby Western travaille comme plongeur pour une société basée à La Nouvelle Orléans, et lorsqu'il ne part pas en mission aux quatre coins du pays pour récupérer des épaves ou rafistoler des conduits dans les profondeurs, il sillonne les bars de la ville en discutant avec ses drôles de potes, tous plus hauts en couleur les uns que les autres.

Bobby est lui aussi un cas. Ancien étudiant brillant en physique et en mathématiques, il a aussi été pilote de F2 avant un grave accident. Son père était ingénieur nucléaire et travaillait pour Oppenheimer, sa petite soeur était une génie des mathématiques, elle est morte et il en était fou amoureux.

Cormac McCarthy est un écrivain époustouflant et il faut pourtant pouvoir le suivre. Beaucoup de critiques ont été désarçonnés par la structure flottante du roman, qui semble déployer ses tentacules pour attraper une sorte de chimère romanesque qui n'est peut-être rien d'autre qu'un délire de schizophrène, un rêve éveillé, un conglomérat de bosons de Higgs transformé en phrases, certains pointant même la possibilité que le grand écrivain lui-même commence un peu à sucrer les fraises.


Ce serait mal lire ce roman qui vous met très vite sous hypnose (toutes ces longues discussions philosophiques qui semblent sans lien avec le reste, les moments surréalistes comme tirés de Lewis Caroll dans lesquels la soeur de Bobby se dispute avec des créatures étranges) et qui, comble de tout, s'offre le luxe d'un fin ouverte qu'il faut peut-être comprendre comme l'explication de son énigmatique entrée en matière.

McCarthy vient-il de tenter un roman quantique ?

Un avion est retrouvé au large de New Orleans sous dix mètres d'eau de mer. Les cloisons sont intactes, la porte fermée de l'intérieur, 10 personnes à bord mais juste 9 cadavres. Manque aussi la boîte noire. Qui était et où se trouve ce passager ? Vous avez 530 pages.




EVERYTHING EVERYWHERE ALL AT ONCE... Alors le voilà donc, ce truc signé Bidule & Machin qui a décroché le pompon aux Noscars. Des réactions que j'ai pu lire un peu partout, à l'annonce des résultats comme à la sortie des projections, les avis sont partagés, comme on dit à Télérama. Evidemment qu'un truc pareil ne pouvait emporter une adhésion TOTALE.

Disons que je me suis bien marré, d'abord, face à ce manga aux stéroïdes qui compose sa toile hystérique en proposant un mix entre un bon vieux Jackie Chan des familles et une histoire allègrement pompée sur MATRIX. Nous voilà donc chez Evelyne et Waymond Wang, qui gèrent leur boutique de lavomatics en même temps que leurs ennuis familiaux dans un bordel permanent. Le monde de la famille Wang n'étant qu'une milliardième variante d'une infinité d'univers parallèles (le multivers on appelle ça) dans lesquels d'autres moi qu'eux évoluent sous d'autres identités auxquels ils peuvent emprunter quelques particularités lorsque ça se gâte dans leur monde à eux. Vous suivez ?

On suit à peu près ce qui se passe, MATRIX m'avait semblé un brin plus compliqué, et tout ceci se déroule en une joyeuse orgie de fights en lévitation, de gags parfois excellents (le raton laveur) et d'un humour parfois au ras du slip. Pour le reste, les images sont vraiment très moches (comme dans ces mangas saturés de coups de crayon dessinant les mouvements hystériques des personnages).


Comme dans READY PLAYER ONE, la petite bande de geeks sensés sauver le monde (car Super Méchante Ultra Puissante il y a) dirigent leurs manoeuvres d'une estafette pourrie dans on ne sait quel monde parallèle. Comme dans les plus mauvais Spielberg justement, les derniers quarts d'heure achèvent le film et son spectateur dans une compotée de bons sentiments gnangnans, ralentis, violons, larmes à l'oeil, l'important est ce que nous portons dans nos coeurs, je t'aime malgré ta différence, aeurghhh, au secours, et voilà pourquoi les professionnels de la profession à Hollywood ont jugé ce film digne d'eux.

Si Michelle Yeoh a décroché sa statuette par contre, c'est parce qu'elle donne de sa personne, et plus que ça encore. Cate Blanchett et Michelle Williams n'avaient qu'à mieux travailler leur kung-fu.

 


Le grand Marco Bellocchio revient sur l'affaire Moro 20 ans après BUONGIORNO NOTTE avec ce film de 5h30 découpé en 6 épisodes pour la télévision (je préfère dire que c'est un film car je ne regarde jamais de séries), grand trauma de la vie politique italienne dont ni la gauche, ni la démocratie, ni Bellocchio lui-même ne semblent s'être remis.

Le film de 2003 était la relation heure par heure de la détention du leader de la Démocratie Chrétienne dans sa prison en placo, emmuré vivant dans les faux murs d'un appartement romain. ESTERNO NOTTE nous invite comme l'indique le titre à voir l'obscurité du dehors alors que Moro disparait vite du cadre. Paul VI, les ministres Cossiga et Zaccagnini, le Président du Conseil Andreotti, Mabuse éternel de la classe politique italienne qui une fois encore en prend ici pour son grade (Sorrentino lui avait déjà réglé son compte dans IL DIVO), les vieilles buses de la sécurité intérieure, vieilles ganaches héritées des années mussoliniennes, un système policier perdu, des terroristes déconnectés de leurs bases et de leur vie, tout cela est radiographié des pieds à la tête avec une précision froide.

ESTERNO NOTTE s'autorise quelques embardées, presque invisibles, vers la fiction, voire le rêve. Le film débute d'ailleurs sur un Aldo Moro sur un lit d'hôpital, revenu de détention, avec devant lui ses "amis" politiques. L'échange de regards auquel on assiste donne la note au reste du film: "Je sais à quoi m'en tenir sur votre compte".

Le film raconte quelques épisodes véridiques hallucinants comme d'autres sans doute inventés pour combler les vides: cette somme de 20 milliards de lires sortie des caisses noires du Vatican ("les excréments de l'Eglise" comme le dit le Pape devant le tas de billets) dont on ne reverra jamais la couleur, l'explosion de rage de Moro à sa confesseur avant son exécution contre Andreotti qu'il déclare coupable de cette machination. La profonde amitié de Paul VI et de Moro, la dépression de Cossiga à cause de sa vie conjugale catastrophique.




La grande Margherita Buy incarne dans le dernier épisode une Eleonora Moro droite, inflexible et affable qui fait vite comprendre à tous ces hypocrites de débarrasser vite fait son salon et qu'elle foutra les bouquets de fleurs fissa à la poubelle. Comme le plan qui ouvre le film dans le premier épisode, son attitude toute entière leur dit aussi ça: "Je sais à quoi m'en tenir sur votre compte".

Grand film !


 Xi Jinping et ses camarades clowns du comité de censure auront donc attiré notre attention là-dessus: cette grande et nouvelle Chine moderne qu'il tente de nous vendre à longueur de discours rencontre encore quelques couacs au fin fond de leurs campagnes. De tous les pays et de toutes les époques, les censeurs ne se sont jamais signalées à nous par leur intelligence. Cela se vérifie encore.

LE RETOUR DES HIRONDELLES ne nous montre pourtant pas comment on s'échange des valises de billets entre membres du Parti, ni les conditions de survie dans un camp de travail Ouighour, non: il nous montre juste comment la Chine néolibérale de maintenant a fait se retourner les campagnes vers un régime néo-féodal horrible. Les propriétaires terriens y sont occupés à changer de BMW chaque année et à rouler les paysans sur le poids des semences lorsqu'ils ne les exproprient pas sans préavis.

Le film raconte surtout comment Ma et Cao se marient, comment ils vont vivre ensemble et finir par s'aimer. Lui, paysan analphabète méprisé par ses frères et qui ne sait faire rien d'autre que travailler de ses mains, elle toute tordue et boiteuse, incontinente d'avoir trop été frappée quand elle était gosse, condamnée à ne pas avoir d'enfants.


Sur une note aussi misérabiliste, Ruijun Li parvient pourtant à nous raconter un parcours qui décoiffe. Ces deux grands amochés, ces deux "parmi les plus fragiles" comme dirait l'autre pitre ont beau se faire rouler par le petit baronnet local (le genre de petite frappe qu'on croise souvent dans les films de Jia Zhangke), essuyer les crachats et les moqueries d'un entourage qui les méprise, ils feront fructifier leurs terres et construiront leur maison avec quelques outils rudimentaires et leur âne.

Voilà donc ce qu'il ne fallait pas montrer: une "Chine d'en bas" qui travaille et s'échine sans l'aide de personne, et une nouvelle Chine d'en haut qui les surveille du coin de l'oeil et leur saute dessus quand tout est bon à leur prendre. On se croirait comme partout ailleurs, libéralisme global oblige, avec un zeste d'archaïsme moyen-âgeux en sus.

LE RETOUR DES HIRONDELLES est certainement le plus beau film vu depuis le début de l'année. D'un classicisme somptueux, qui prend son temps pour filmer les saisons comme l'éclosion d'une affection commune mille fois plus émouvante que n'importe quelle autre histoire d'amour. Dans le rôle de Cao, pauvre brindille brisée au regard affolé, la comédienne Hai-Qing est absolument scotchante.






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