dimanche 5 février 2023

Radio Metronom


 Ah ! Le cinéma roumain, quelle poilade... Qu'y a-t-il de changé au juste depuis la fin des années 2000 lors qu'on assistait, admiratifs, à l'émergence de cette vague de jeunes réalisateurs qui refaisait le portrait de la Roumanie d'avant la chute du tyran, et vite s'empressa de tailler celui, pas bien plus réjouissant, d'un pays au sang gâché qui avait bien du mal à ingérer les composantes d'un nouveau capitalisme triomphant ?

Alandru Belc fait partie de la génération d'après celle des Cristian Mungiu ou Christi Puiu. Celle qui a vu la chute des Ceaucescu à l'adolescence et il est étonnant de constater combien son cinéma ressemble à celui de ses glorieux aînés. Trabant et Renault 12 garées dans les rues calmes de Bucarest, intérieurs mornes au décorum marronasse toujours identiques (vieux meubles, vieux livres, vieux rideaux limés), sourde inquiétude à propos des gestes les plus anodins, paranoïa sourde mais omniprésente, nous sommes bien dans les années 70, - Belc n'était pas encore né - et ce que Radio Metronom se demande, de manière fort simple et avec la force démonstrative propre au cinéma roumain, c'est tout bonnement: comment pouvait-on vivre dans cette Roumanie-là quand on avait 17 ans ?


L'histoire est simple: Ana est triste car son amoureux, Sorin, a trouvé le moyen de quitter le pays pour l'Allemagne. Et se barrer de là, c'était beaucoup mieux que d'obtenir une mention au bac. La veille de son départ, une amie organise une soirée (ses parents ne sont pas là). Sorin la dissuade d'y aller, de toute façon il n'y sera pas. Mais Ana y va quand même. Ensuite, c'est presque Diabolo menthe: l'hôtesse a trouvé une bouteille de cognac, les filles sont jolies et les garçons sur leur 31, ça discute et ça flirte, on écoute de la musique très fort et on fait des blagues ("Quelque part à l'étranger, quelqu'un demande à ce touriste roumain pourquoi il ne se sépare jamais du portrait de Ceaucescu. A quoi il lui répond: "A cause du mal du pays. A chaque fois que ça me prend, je regarde son portrait et tout de suite ça va mieux").


Entre deux morceaux de pop folk roumaine (dont un très chouette de Mircea Florian, à faire danser les boiteux), on y écoute Janis Joplin et les Doors sur une radio étrangère, qui diffuse quelques messages réconfortants à l'adresse de la jeunesse roumaine privée de tant de douceurs. On y passe de la bonne musique impérialiste de drogués (superbe version de Light my fire enregistrée au festival de l'île de Wight), et c'est là que la Securitate déboule.

Qu'est-ce-qui a changé dans le cinéma roumain dont le certificat de naissance a été enregistré, pour nous, avec la vision de 4 mois, 3 semaines, 2 jours il y a 15 ans ? Nous sommes toujours sous Ceaucescu, le colonel à la voix si douce mais au regard de pierre est toujours incarné par le solide Vlad Ivanov (qui fut l'homme de main brutal du Snowpiercer de Bong ainsi que, -tiens donc - le médecin violeur-avorteur de 4 mois, 3 semaines...), même si là les forces de l'ordre y vont de main presque molle. Un brusque éclat de violence physique tout de même (d'autant plus fort qu'on ne le voit pas venir), une sourde menace de viol dans les propos du colonel et puis tout se règlera comme un très mauvais passage chez le proviseur.



Voilà comment on punissait les enfants en ce temps-là, afin qu'ils rentrent dans le rang. En leur foutant une trouille bleue et en menaçant de déchéance et de problèmes infinis leurs parents. Je ne vous raconterai pas pourquoi la Securitate leur est tombée dessus, c'est sans importance. Quand Ana demande à sa copine Roxana, qui l'a déjà fait, s'il est vrai que ça fait mal, ou que le lendemain de sa nuit d'enfer au poste de police elle se précipite chez Sorin, malgré ce qu'elle sait de lui maintenant (je ne spoilerai rien) pour enfin coucher avec lui avant qu'il ne parte, on comprend que les préoccupations étaient ailleurs.


Il fallait bien que jeunesse se passe, l'Histoire en a bien fait autant...

p.s.; sans résumer l'excellent film de Belc à une simple histoire de libido adolescente, il est quand même bon à noter que dès que les évidentes intentions du film me sont apparues, je me suis rappelé ce texte extraordinaire de Herta Müller (dans Tous les chats sautent à leur façon, je crois), auteur allemande d'origine roumaine qui y racontait combien on couchait beaucoup, n'importe où et n'importe comment, - dès qu'on pouvait quoi ! - en Allemagne de l'Est, seuls instants possibles de véritable lâcher-prise loin des yeux de la Stasi et de potentielles dénonciations.

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