mercredi 22 février 2023

LA FEMME DE TCHAIKOVSKI, celle qui s'est mariée toute seule.


 

L'histoire est peu connue, du moins de celles et ceux qui comme moi s'attardent peu ou pas du tout sur les biographies amoureuses des artistes, mais elle est cruelle. C'est celle d'Antonina, jeune fille de milieu modeste qui tomba raide dingue d'un homme qui ne voulait pas du tout d'elle, un certain Piotr Tchaïkovski.

La femme de Tchaïkovski commence par cet intertitre qui nous replace dans le contexte d'un époque, la fin du XIX° tsariste, où les femmes ne comptaient alors pour rien et n'étaient identifiées que comme "femmes de" sur le passeport de leur mari. Les suffragettes anglaises avaient beau avoir commencé leur travail de sape des mentalités étriquées, il y avait encore de la distance entre Londres et Moscou.

On espère que Kirill Serebrennikov, dont on comprend un peu la trajectoire entre Le disciple, le rock'n'roll LetoLa fièvre de Petrov et ce film à costumes se soit fixé comme objectif une stigmatisation des maux de la société russe qu'ils soient d'un autre siècle, d'aujourd'hui ou de l'ère soviétique. D'où son exil hors de la Poutinerie, et le capital sympathie auprès des occidentaux acquis à cette occasion. Reste que s'il s'agit ici pour lui de dénoncer la place des femmes en 1890 en prenant cet exemple-là, la démonstration est un peu maigre.


Car la jeune, belle et enthousiaste Antonina s'amourache certes d'un grand homme, d'un génie dont la notoriété n'était pas encore absolue mais en passe de devenir immense, elle se jette dans la gueule (bien que sans trop de dents) d'un loup séduisant qui, - il le lui dira d'emblée - n'a jamais aimé de femme, et n'a d'autre intérêt que la bamboche, la musique et les amours interdits. Tout juste pourra-t-on lui reprocher cette fatale concession à la bienséance de son temps (prendre femme) afin de servir de paravent à sa nature profonde, mais l'insistance d'Antonina à l'épouser lui, et personne d'autre, sera la source de son malheur (à elle).


Des malheurs qui ne seront pas rien, entre existence misérable (Tchaïkovski ne lui laissa pas grand chose), refus du divorce,  concubinage malheureux avec un avocat qui lui fera trois gosses, tous morts à l'orphelinat, et une fin de vie enfermée dans un asile. Le film porte tout entier sur ses épaules le poids de la misère de cette femme, laissant de côté la vie du compositeur qui termina la sienne comme il l'avait commencé: sans se soucier d'elle. 

Un angle mort dommageable à l'équilibre du film, et à son honnêteté, car si on saisit sans trop d'effort le caractère sulpicien et exemplaire de cette Fantine moscovite (mâtinée d'Emma Bovary montée à l'envers: un superbe mari indifférent d'un côté, un amant lamentable de l'autre), on aurait aimé aussi voir une description du caractère singulier du bonhomme, cantonné ici à une ombre intermittente. Il faut croire que Serebrennikov n'a pas voulu confronter l'homme à l'artiste. Etait-il un simple jouisseur inconséquent, un type "hors-sol" continuellement dans la lune, un sociopathe égocentré ou un cas d'autisme particulier, incapable de faire le lien entre ses émotions et celles des autres ?





Le film est séduisant, il fait pour cela des pieds et des mains entre une reconstitution d'époque soignée, des plans comme des tableaux (on pense beaucoup à ces toiles d'intérieurs ou de portraits bourgeois signés Sargent ou Emile Friant qui font les couvertures des éditions de Zweig, Tchékhov ou Marai)), des moments de grâce ou d'extase qu'on pourrait presque juger exagérés (la curieuse scène où l'ami décadent de Tchaïkovski offre à Antonina le choix entre cinq prostitués à poil au milieu de son salon, le final chorégraphié et dansé, ultime expression des aspirations romantiques rêvées de l'héroïne), La femme de Tchaïkovski est un film qui séduit, mais laisse au final comme l'impression d'avoir traversé un appartement superbe un peu vide, et très mal aéré.

Restent une certaine virtuosité de la mise-en-scène, qu'on jugera pour le coup assez vaine, une superbe photographie signée Vladislav Opelyans et une Antonina Tchaïkovski, née Miliukova, incarnée par l'excellente Alyona Mikhailova.


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