samedi 28 janvier 2023

Nos soleils

 


Tenter de comprendre comment un film comme Nos soleils a pu décrocher l'Ours d'Or au festival de Berlin l'an dernier m'inciterait presque à penser que quelques lignes ont bougé ces dernières années, entre un cinéma d'auteur qui peine à renouveler son cheptel de grands noms et un autre, qu'on qualifiera de "grand public" faute de pouvoir trouver autre chose, qui se retrouve aspiré corps et biens par la gueule béante des plateformes de streaming, plus avides que jamais. 

Non pas que l'attribution du Prix au très beau film de Carla Simon me fasse râler, - elle l'aura mérité sûrement et me fait moins de peine que celui attribué à Cannes au dernier Ostlund, symptomatique à mes yeux d'un cinéma faussement rebelle qui, sans complexe aucun, se gentrifie en se foutant de notre gueule -, mais il m'a fait penser que le cinéma, celui qu'on aime du moins, est en train de se rabattre faute de moyens, et faute surtout de grands sujets, sur les choses les plus simples, les plus fondamentales.

Nos soleils ne raconte rien d'autre qu'une mini-catastrophe familiale: ces terres que le vieux Rogelio et les siens exploitent depuis des décennies, quelques hectares de pêchers et de vignes, ne leur appartiennent finalement pas: papy n'avait signé aucun papier et avait conclu l'affaire "à l'ancienne", cochon qui s'en dédit, un coup de purro et une tape dans le dos, tout ça. La descendance veut remettre la main dessus et le fiston, Quimet, l'a en travers de la gorge.


Carla Simon ne monte pas sur ses grands chevaux: ce qu'on propose à Quimet et  sa famille est somme toute assez peu malhonnête: l'exploitation  des vergers est une galère sans nom, sans trop d'avenir entre la grande distribution qui tire les prix vers le bas, les lapins qui font chier et le traitement aux sulfates qui puent et le proprio leur propose même des boulots dans un truc d'avenir beaucoup moins emmerdant et beaucoup plus rentable: la pose de panneaux solaires (dans As bestias de Sorogoyen, souvenez-vous, les objets de discorde étaient des éoliennes...)

Non, tout ça, ça passera. Même si le film se conclut sur l'image triste de bulldozers arrachant les arbres, et qu'un avenir un peu plus confortable, niveau sous, ne remplacera jamais le paysage et les souvenirs qui s'y rattachent.


On pourra presque prétendre, d'ailleurs, que Nos soleils commence par un souvenir: la très énergique Iris, 8 ans, qui joue dans une épave de 2cv au milieu d'un champ en compagnie de ses cousins. Iris qui s'y croit, joue la Han Solo dans son Falcon Millenium Citroën, dirige sa troupe comme le général Patton, désobéit à tout avec le charme de la chipie absolue, baisse la tête pour esquiver les lasers, prolonge sans relâche la liste des conneries infantiles qui font balbutier le palpitant des vieux.

Tirer les lapins (qui font chier), de nuit sur une mobylette, chanter de vieilles chansons avec papy. Le film est triste parce qu'il rappellera à chacun se qui se perd (ou même ce qu'il n'a jamais eu). Ce n'est pas quelques pêchers, ni une 2CV qu'un engin débarrasse alors qu'on y rigolait tellement, non, c'est le souvenir d'une famille qui aura beau se déchirer à cause de ces problèmes de papiers, de fierté et de droit à la propriété, mais qui restera unie, finalement. 


Nos soleils
décrit une sorte d'utopie, d'idéal triste. Pour que le film ne déraille pas vers le drame sulpicien, droit paysan gnangnan, debout les damnés de la terre, tout ça, il faut que la très discrète et tout douce Dolores mette une baffe à son mari et à son fils pour ramener toute cette bête testostérone à table, pour aider à mettre les abricots en pots, et de la fermer. Et surtout, allez vous laver les mains avant, bande de morveux.

Pour Iris ce sera l'assurance que la brouille entre son père et tata s'achève là parce que, c'est pas tout ça, mais il y a encore plein d'ennemis et de méchants à tuer avec les cousins, là bas. Iris, on n'est pas inquiet pour elle: on sait qu'elle saura se faire encore longtemps plein de films dans sa tête.



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