mercredi 23 mars 2022

Viens je t'emmène (banale song)

 



J'inviterais bien Alain Guiraudie un soir à l'apéro. Ses manières de voir me plaisent, les histoires qu'il raconte me parlent, son cinéma hirsute tout décoiffé avec la braguette grande ouverte m'enchante. Passé la première déception devant
Viens je t'emmène, son petit dernier, on se demande pourquoi ça a coincé, pourquoi on a si peu rigolé finalement. C'était écrit sur le papier pourtant: l'histoire de ce trentenaire sympathique et innocent comme la lune qui tombe amoureux d'une fleur du trottoir, tout ça en pleine crise de paranoïa urbaine (Clermont-Ferrand victime d'un attentat islamiste, pourquoi pas) et qui voit en même temps arriver dans sa cage d'escalier un jeune reubeu paumé et un peu louche alors que la police traque un terroriste survivant, c'est peut-être une histoire dans lequel il a voulu mettre trop d'histoires.


Quand le cinéma de Guiraudie fait sourire et fait du bien, c'est lorsqu'il prend à contre-pied tous les clichés sociologiques en vigueur - ou plutôt en les ignorant - pour les traîner en ridicule et mettre en valeur autre chose. Or, si Guiraudie n'a jamais été et ne sera jamais Blake Edwards, il n'a pas l'esprit-Gotlib de ce bon Antonin Pertjako non plus qui, lui, sait dynamiter la comédie à la française en payant le franchouillard de base comme le premier de cordée. Si on écarte du tableau ses quelques personnages de connards agressifs descendus de la cité pour casser la gueule au jeune Selim (pour des motifs qui resteront flous, pour une dose de shit ou des histoires d'islamistes, je n'ai pas bien compris), tous les autres protagonistes du film sont des personnages de Guiraudie en plein, leurs côtés charmants comme leurs travers à la noix dans le même sac.


Passé le premier temps où chaque personnage se pose avec ses paradoxes plus ou moins gros (lsadora qui tapine pour le plaisir, et que son mari vient chercher tous les soirs après le boulot, le voisin de palier vindicatif vis à vis de la menace supposée du jeune Arabe alors qu'il s'appelle El Alaoui), le moment arrive très vite où on se lasse de ce petit jeu, en attendant qu'une histoire débute. En gros, le cinéma de Guiraudie, tellement habitué à la campagne et aux sous-bois, se sent emmerdé en ville (d'ailleurs, ne s'y emmerde-t-il pas un peu ?). On a aussi l'impression pénible que dans sa volonté d'affronter le paysage urbain, le réalisateur s'est senti aussi obligé de parler de problèmes qui doivent l'intéresser sûrement, mais qu'il ne sait pas par quel bout prendre.


Avec ses excès intempestifs parfois tellement gros qu'on serait prêt à les pardonner (le mari d'Isadora cherchant au G.P.S. sa femme dans la cathédrale de Clermont alors que ses hurlements orgasmiques dans le confessionnal la trahissent sans peine), parfois à ne pas lui pardonner du tout (l'assaut sanglant de l'immeuble par la racaille),
Viens je t'emmène reste quand même un objet intriguant. On ne sait pas où Guiraudie habite et s'il regarde souvent la télé ou des séries policières, mais son traitement des médias ou de la police (jamais là quand ça chauffe, intervenant pour des broutilles, lâchant le GIGN pour interpeller un clodo et ce commissaire qu'on voit tout le temps à croire qu'il est le seul de Clermont) est tellement "par-dessus la jambe" qu'on doute que tout cela l'intéresse plus que les histoires de coeur, et de cul, qu'il sait toujours raconter aussi bien.


Quelque chose semble déjà dépassé dans ces histoires d'attentats, d'islamistes cinglés et de plans Vigipirate. Cela est peut-être dû au covid, à Zemmour ou à Poutine, mais on remarquera toutes les étreintes de Médéric et d'Isadora sont interrompues par une intrusion, un coup de sonnette ou de téléphone. Jamais tranquilles. Aussi quand tout le monde en a fini avec ces histoires de petites frappes, de voisins paranos et de relations ambigües (Isadora et son mari, tout un poème !) et que presque tout le casting rapplique pour passer la nuit dans l'immeuble enfin calme, Machin qui est amoureux de Truc partagera sa chambre avec Machine qui en pince pour Machin, et la Grande qui a elle aussi le béguin pour Truc accepte de coucher avec... voiiiiilà le Guiraudie qu'on aime, et qui rapplique enfin, un autre film qui commence mais trop tard: c'est le générique de fin.

Une Vie mode d'emploi romantique et très cul dans un petit immeuble de Clermont avec des jeunes, des vieux, des homos, des hétéros, de toutes les couleurs, de plein de religions, des engueulades, des embrouilles et quelques pains dans la figure, on aurait aimé voir Guiraudie filmer ça. Et puis surtout éteindre la télé, et ne plus appeler les flics pour des conneries. Tout le monde sous la couette et que personne ne dérange ! Finalement, Guiraudie aura réussi à capter in extremis quelque chose de l'air du temps.

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