jeudi 3 mars 2022

Sous le ciel de Koutaïssi, que voyons-nous quand nous regardons le ciel ?

 


A la sortie de Sous le ciel de Koutaïssi, une dame grommelle en enfilant son manteau: elle a trouvé que ce film n'avait absolument aucun sens et bon sang, qu'il est long ! Je la console comme je peux en lui expliquant qu'il s'agit là d'un film qu'il faut voir "au bon moment"... Comment pourrais-je lui dire ça autrement ?... Qu'il faut se laisser porter... ne pas chercher à comprendre... car enfin, voilà un film qui n'est pas trop compliqué non plus... 

Disons qu'à l'heure où des bruits de bottes et le son des canons retentissent pas loin, qu'on est reparti pour un tour de surchauffe médiatique avec experts à la barre, conneries politiques en chaîne et grosse boulle au creux du ventre, Sous le ciel de Koutaïssi fait un bien fou, pour peu qu'on veuille bien se faire prendre.



Il s'agit du deuxième long-métrage d'Aleksandre Koberidze, et pour avoir vu deux de ces courts, Colophon et Linger on some pale blue dot, on sait déjà quel grand "filmeur" il est, avec une attention toute particulière, parfois incongrue mais jamais inutile portée aux objets, et un sens du cadrage et du temps qui font que son cinéma "respire" comme aucun autre. A ce titre, il est sans doute celui dont le travail me fait le plus penser à celui d'Alain Cavalier dans ses derniers films (créer un univers avec des bouts de bois, un jouet cassé et une mini caméra).


Or, que raconte ce film ? La rencontre d'une jeune femme et d'un garçon qui, eux-mêmes étonnés par cette évidence, se donnent rendez-vous pour le lendemain, tout simplement. Tout reposera ensuite sur un curieux "accident", comme sorti d'une nouvelle de Poe ou d'un rêve de Borgès: Lisa et Giorgi se réveillent dans la peau d'un(e) autre. Elle a tout désappris des études de médecine qu'elle suivait, lui qui se destinait à une carrière de footballeur devra faire autre chose. Ce qu'ils vont faire en ayant cet unique regret, eux qui ne peuvent plus se reconnaitre à présent: vivre avec la peine inconsolable d'être passé à deux doigts de l'amour de leur vie.

Qu'y a-t-il à comprendre ensuite de cet entrelac de petites histoires et de saynètes anodines, ce monsieur qui tente de faire vivre son petit bistrot de plein air qui n'attire pas grand monde, ces jeunes filles et ces garçons qui s'épuisent en parties de foot endiablées sur un terrain de ciment au pied des immeubles, ces gens qui sortent leurs chaises dans la rue pour voir les matchs de la coupe du monde sur un écran dans la rue ? Le titre original du film est Que voyons-nous quand nous regardons le ciel ? Koberidze est un cinéaste rêveur, un poète (ce qui ne va pas faire affluer le public vers ses films, parions là-dessus), qui préfère s'attarder sur un chien errant qui roupille sur la chaussée, en s'imaginant en voix-off ce qu'il pense, sur un ballon pris dans les tourbillons d'une rivière, sur des gamins hilares qui se peignent à même la peau du dos "10 Messi", avec aussi ce goût pour la légèreté qui le fait parfois divaguer vers un comique proche de celui de son compatriote Iosselliani: ces chiens qui se donnent rendez-vous dans les bistrots, cet assistant gaffeur qui n'arrête pas d'endommager le matériel.


Que voyons-nous quand nous regardons le ciel ? C'est une excellente question, qu'on devrait se poser plus souvent et si vous n'y voyez rien, n'en prenez pas ombrage, si vous n'en avez pas envie, si vous trouvez cela idiot, passez outre. Ceci n'est pas une injonction, juste une invitation. Le cinéma de Koberidze est par ailleurs suffisamment terre-à-terre, si bien ancré dans le quotidien pour que celles et ceux qui n'en ont pas envie, ou pas besoin, restent au sol.


Reste qu'il faudrait que je retrouve le texte merveilleux de ce monologue final en voix-off qui clôt ce film unique de si belle manière. Reste que je me souviendrai longtemps de cette invitation du narrateur de "fermer les yeux" à son signal, pendant cinq secondes, au tout début du film. Reste que la musique signée Giorgi Koberidze est magnifique et que si ce film m'a fait le même effet qu'Eva en aout il y a deux ans, c'est qu'il y a sans doute un besoin de revenir à la contemplation de ce qui nous entoure, plutôt que de supporter les violences qu'on nous place de force sous les yeux et tenter de voir, - juste tenter (pour voir) - quelque chose dans le ciel quand nous le regardons.

(à noter que c'est sur la plateforme Mubi qu'on peut voir actuellement les deux c.m. de Koberidze ci-dessus cités, ainsi que son premier long-métrage Let the summer never come again qui dure... 3h20 mais que je vais m'empresser de découvrir dans pas longtemps... on tient là un auteur de première importance).

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