samedi 26 mars 2022

L'histoire de ma femme, le mariage pour les nuls

 


Ildiko Enyedi avait reçu la Caméra d'Or à Cannes en 1989 pour Mon XX° siècle (pas vu) et depuis, quasiment plus rien. Corps et âme avait décroché l'Ours d'Or à Berlin en 2017, rien que ça, drôle de film nous racontant l'histoire d'amour improbable entre un vieil handicapé et une jeune femme autiste et ça nous avait laissé de marbre, un peu. L'histoire de ma femme a été présenté à Cannes l'an dernier et a été accueilli dans un silence si glacial qu'on ne se souvenait  plus qu'il était en compétition. Pourtant, si on prend le temps de le prendre sous le bon angle, voilà un beau et grand film d'un classicisme parfait qui mériterait qu'on s'y attarde un peu.

Milan Füst écrivit L'histoire de ma femme en 1942 (pas lu), Füst était un écrivain qui fut listé nobélisable dans les années 60 et cette chronique douce-amère d'un amour improbable mais déçu fleure comme il faut le romanesque Mitteleuropa. Années folles, années tristes, hommes et femmes libres d'aller courir là où ils veulent, romantisme de pacotille et décontraction de façade. Jakob demande la main de Lizzy sur un coup de tête, un coup de dés (un coup de dés jamais n'abolira le hasard, pas vrai ?), et comme la littérature ne doute de rien ces deux-là vont tomber amoureux pour de bon.


Elle (Léa Seydoux) est une jeune femme qui aime faire la fête, taquiner son prochain et tâter les limites. Les siennes d'abord, celles des autres ensuite. Lui (Gijs Naber) est capitaine de navire, solide comme un roc au regard des autres mais comme se cherchant à tâtons dans le noir. Disons-le tout net, si le film nous a chaviré un peu, c'est grâce à ces deux-là, Léa Seydoux de plus en plus à l'aise quoi qu'elle joue, et de plus en plus surprenante (n'a-t-elle pas déclaré dans un récent interview que quoi qu'elle interprète, c'était à son personnage de se plier à sa personnalité et non le contraire ?) et surtout grâce à Gijs Naber, comédien hollandais au physique de docker mais au regard d'enfant qui n'aurait pas volé, justement, un prix d'interprétation à Cannes.



D'abord, on sait gré à Ildiko Enyedi d'avoir débarrassé le contexte historique de toute sa lourdeur menaçante. De Paris à Hambourg, on n'aperçoit aucun drapeau rouge ni aucune croix gammée, le film entièrement concentré sur cette Scène de la vie conjugale à la mode magyare, flamande, française ou allemande, internationale quoi, battant le rappel de nos lectures de Balzac, de Benjamin Constant, de Barbey d'Aurevilly ou de l'Abbé Prévost qui ont tous écrit un jour des phrases définitives mais à jamais mouvantes sur l'amour, le désir, la jalousie, la possession, la liberté dans le couple, la déraison d'aimer.


Louis Garrel est aussi plaisant dans ce film que dans le Saint Laurent de Bonnello, il est à baffer et c'est avec plaisir qu'on voit Gijs Naber lui pèter le nez dans un des rares moments où il se lâche (ah zut, j'ai spoilé).

Le film a aussi beaucoup à voir avec la mer. Ses chansons de marins, ses désirs d'ailleurs, ses fantasmes de femmes dans tous les ports, de femme qui attend, de femme qui rêve de pouvoir attendre toujours alors que c'est impossible. De ce film on en n' attendait pas tant: de ce classicisme guindé en apparence nous arrive une des plus belles histoires d'amour vues depuis des lustres.

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