mardi 8 mars 2022

La légende du roi crabe

 


Si vous n'avez pas d'histoire, imaginez une légende... Il a fallu aller vérifier si la merveilleuse épopée écrite par le tandem Rigo de Righi-Zoppis n'était pas tirée d'une histoire vraie ou d'un récit traditionnel mais non, La légende du roi crabe est une oeuvre d'imagination. Elle débute dans une cabane où des chasseurs mangent, boivent, chantent et se racontent des histoires. Et là, comme le souligne un des intervenants du groupe, vous savez comment c'est à la campagne: vous racontez une histoire à quelqu'un en 10 mots, et ce quelqu'un en rajoute 5 et quand elle revient à vous cette histoire, elle en fait 50.

La légende du roi crabe, c'est d'abord des histoires et des chants, des gueules burinées par le travail au grand air, des mains abimées et noircies sous les ongles qui attrapent les verres de vin comme des dès à coudre, des silences apaisées ou menaçants, des mots qui font mal, des poings qui cognent dur et des coups de fusil qui partent. 


Luciano, le héros de ce film, est un grand gaillard qui n'a peur de rien et a horreur de l'injustice. C'est un ivrogne, un homme amoureux et sans doute le bâtard non reconnu d'un notable du coin. Il aime Emma, la fille du berger, belle jeune femme solide et amoureuse elle aussi mais au-dessus il y a un Prince, un château, un droit de passage qui leur a été retiré pour leurs moutons, des hommes de main violents et stupides. La légende du roi crabe, pour ça, c'est l'anti-Guépard de Visconti: cette Italie du début du XX° siècle méritait sans doute d'être renversée.


On est vraiment saisi par l'authenticité de ces figures: les réalisateurs ont choisi des comédiens amateurs, beaucoup ne sont pas comédiens du tout, à l'image de Gabriele Silli, saisissant Luciano, haute stature et regard bleu irradiant dans les plis de son visage bouffi et brûlé par le soleil. On ne voit plus ce genre de trogne dans le cinéma français (le seul exemple qui me vienne à l'esprit, c'est le Rester vertical de Guiraudie), et on se dit que le cinéma italien (Alice Rohrwacher, Matteo Garrone, Frammartino et son merveilleux El quattro volte) lui, sait encore filmer ça: les paysans, les gens du peuple, des mains salies par le labeur, des visages abimés, des sans-dents qui boivent, rient et chantent à tue-tête des chansons dans le patois de chez eux.

Le film est coupé en deux, la deuxième partie basculant vers un genre de western en Terre de Feu, là où Luciano a choisi de fuir et où les deux cinéastes dévoilent une belle maîtrise: grands espaces, vent, soleil et neige, pirates assassins et menteurs, chasse au trésor et morts violentes. Sur cette terre d'exil et de rêve de liberté, où seuls les animaux survivent, où l'eau est empoisonnée par les algues se déploie un film d'aventure magnifique, qui fait autant penser au très beau Jauja de Lisandro Alonso qu' au récent Onoda de Arthur Harari dans ce savoir-faire retrouvé de filmer les grands espaces sauvages, la solitude et la mort.


La légende du roi crabe
retombe enfin sur ses 10 pattes au gré d'un final inattendu, romantique en diable, qui achève de dévoiler sa cohérence entre sa partie italienne et son épilogue américain. Vraiment, on ne savait pas sur quel galion on embarquait en abordant cette légende, et c'est sans doute LE grand film à côté duquel beaucoup vont passer, sans s'en apercevoir.


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