vendredi 28 janvier 2022

Tromperie, je te crois moi non plus.

 



Moi qui pensais avoir perdu Arnaud Desplechin au sortir de son éprouvant Fantômes d'Ismaël, moi qui ne l'avais pas du tout retrouvé avec son platounet Roubaix qui, pourtant, en avait fasciné plus d'un, j'étais en droit d'aller voir son petit dernier en traînant un peu les pieds. Et puis voilà que Tromperie, adaptation d'un roman audacieux de Philip Roth, sorte de précurseur à ses quatre derniers livres où il semblait rembobiner son parcours d'écrivain sous la forme d'un bilan romanesque, nous ramène tel qu'en lui-même l'auteur d' Un conte de noël, de Trois souvenirs de ma jeunesse et de Comment je me suis disputé. Le Desplechin joueur qui adore faire des noeuds avec les formes, le Desplechin amoureux et archi-romantique pour qui il n'y a rien de meilleur que de filmer l'amour dans ses atours les plus sophistiqués.

On est peut-être loin des réussites les plus parfaites de ce cinéaste qui est aussi attiré par les ambivalences du romanesque, les constructions narratives avec nids de poules, faux-semblants et faux raccords, qu'il est passionné de cinéma et de littérature. On n'est pas étonné de le voir se délecter des trompe-l'oeil que le roman de Roth a laissé pour lui: tromperie sur la marchandise puisque si la relation entre Philip l'écrivain et son amante anglaise nous est montrée comme irriguant l'oeuvre à venir, les choses se gâtent lorsque la femme trompée de l'écrivain tombe sur les "notes" de son époux sur sa liaison, qu'il nie avoir vécues tel qu'il les a écrites (mais tel, quand même, que Desplechin nous l'a montrée). Reste cet angle mort du film, - et du roman -, qu'on pourra toujours combler à notre manière: après tout, ce roman que l'écrivain Philip finit par publier est-il fidèle à ce que nous venons de voir ? Enième version d'un même texte, dont nous ne saurons rien.



Tromperie, c'est d'abord tromper son monde, et ses proches dont on s'inspire en leur prenant beaucoup tout en estimant qu'on s'en est inspiré, c'est tout. Philip a beau jeu de prétendre que ses "notes" ne sont pas la vérité mais il s'adresse à sa propre épouse, qui doit déjà savoir ce qu'il en coûte de vivre avec un romancier qui s'inspire autant de sa propre vie. Là-dessus, on se souvient du livre le plus définitivement génial sur le sujet, Adios Schéréhazade de Donald Westlake, dans lequel un écrivain près de la retraite qui avait fait carrière en tant qu'auteur de romans pornos à succès écrits à la chaîne, voyait son entourage lui tourner le dos le jour où, s'apprêtant à sortir un roman "normal", tout le monde croit s'y  reconnaitre et se fâche avec lui.


Tromperie, c'est aussi faire croire que le film est complètement une adaptation d'un roman de Philip Roth car - et là je peux me tromper mais je n'en ai aucun souvenir -, il n'y est pas question de cette escapade en Tchécoslovaquie pendant les années 70 où là, douce marotte de Desplechin qui adore les intrigues d'espionnage opaques qui ne pouvaient s'imaginer que durant la guerre froide, il nous refait le coup, - avec bonheur - de l'apprenti John Le Carré qui joue à se faire peur avec les mauvaises manières du KGB.

Grande scène où Desplechin nous rappelle la virtuosité de son style lorsqu'il "raconte" à sa maîtresse une engueulade avec son père, en nous montrant en un montage serré et rapide Podalydès rejouant la scène avec force gestuelle devant une Léa Seydoux hilare, et le même avec son père dans une cuisine à  New York. Double couche à un possible bobard: cette dispute n'a peut-être pas eu lieu en ces termes, à cet endroit, n'a peut-être pas eu lieu du tout, et Philip ne l'a peut-être pas raconté de cette manière, peut-être pas raconté du tout. D'ailleurs, et pour en finir avec ces mises-en-abyme sans fonds, est ce que cette anecdote finira, ou pas, dans le futur roman de Philip ?


A ce rythme, libre à chacun de ne plus croire en rien de ce qu'il lit (dans le roman) ou de ce qu'il voit (de ce film), et ce ne sont pas les petites coquetteries de Desplechin ici et là (comme de commencer son film dans un décor nu, théâtral, pour enclencher sur le plan suivant sur l'intérieur de l'appartement de l'écrivain) qui nous convaincrons le plus de la nouveauté du propos.

D'ailleurs, autre tromperie, Podalydés incarne un écrivain américain, Léa Seydoux une anglaise, dans des lieux qui pourraient autant être tantôt londoniens, parisiens ou autres. Alors que les personnages Tchèques sont incarnés, eux, par des comédiens Tchéques. Y-a-t-il un sens à cela ? On en doute.

Plus gonflé, et plus casse-gueule dans notre époque très #metoo et d'erase-culture à tout va, menée parfois pour le pire par un féminisme atteint de forte misandrie, la séquence onirique, - un rêve peut-être, un moment de pure fiction là, on est sûr - où l'écrivain se défend devant un tribunal de femmes et un public exclusivement féminin et très hostile, de les mépriser, ni de se servir d'elles, et défendre sa liberté totale d'artiste et d'écrivain. Une scène de pur cauchemar où le film devient subitement d'une belle force politique. Rappel aussi que bon nombre de romans écrits par Roth à ses débuts avaient été taxés des les années 60 de sexisme, voire d'être carrément misogynes, et qu'ils ne feraient pas long feu s'ils sortaient aujourd'hui.

Tromperie car en véritable créateur, Philip est aussi un grand manipulateur, parfois malgré lui. Tromperie parce qu'il est bien évidemment question d'adultère, et que c'est là que le style de Desplechin s'épanouit en toute majesté: joutes verbales autour du sexe, ou de questions que les amants se posent l'un à l'autre pour se piéger, se charmer, se prouver à quel point ils tiennent l'un à l'autre (et lui qui prend des notes). Dans ce registre, on soulignera volontiers combien Denis Podalydès et Léa Seydoux offrent des partitions de haut vol, elle décidément loin de cette image de jolie chose qu'on lui avait d'abord accolée, lui d'un abattage et d'une force de séduction qu'on ne lui soupçonnait pas.


Avec surtout, ces confrontations magnifiques entre l'écrivain et une ancienne maîtresse. Emmanuelle Devos en ex-amoureuse à qui on ne la fait plus, mais qui aimerait bien quand même faire encore un peu semblant (parce que gravement malade), montre en quelques scènes la force de son talent. En la regardant, on a bien senti le vent de l'amour et de la mort nous effleurer la joue.

Il n'y avait donc pas de quoi désespérer du cinéma d'Arnaud Desplechin, revenu des passions et des histoires les plus simples pour revenir nous raconter des histoires et des amours compliqués. C'est encore là qu'il est le meilleur.



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