jeudi 3 février 2022

Introduction, suite et fin.

 


Et puis un jour, quelque chose se casse. On l'avait peut-être pressenti devant certains de ses films les plus insaisissables mais le jour où le cinéma de Hong Sang-soo ça ne voudra plus, ça ne voudra plus. Et c'est devant ce minuscule Introduction (1h05) qu'on se retrouve les bras ballants, comme un idiot, comme moi à cet instant où je vous parle et où je ne sais pas quoi penser de ce film, par quel bout l'attraper, ce qu'il fallait en voir.

C'est une sensation fréquente au sortir d'un film de Hong, comme s'il fallait au moins quelques heures pour recompter ses abattis et faire le point sur la situation. Alors les questions se posent, qui finissent par trouver leurs réponses: quel est ce personnage dont l'intrusion dans l'histoire semble avoir tout changé, ce segment narratif se trouve-t-il à la même époque que le reste du film, au même endroit ? Pourquoi un tel semble rencontrer une telle pour la première fois alors qu'ils ont mangé ensemble dans ce restaurant lors de la scène précédente ? Pourquoi ? Pourquoi ?

Un des grands plaisirs d'aller voir ses films en salles pour moi c'est, - je l'avoue - quand les lumières se rallument de laisser traîner mes oreilles dans les rangs des spectateurs en train d'enfiler leurs manteaux et se questionnant sur l'affaire. La curiosité est un excellent défaut mais quand on ne s'attend à rien de spécial quand on va voir un film de Hong pour la première fois, on peut ne jamais y revenir car il est parfois difficile de se raccrocher à quoi que ce soit dans ce qu'il filme.

Dans ses films les plus célèbres comme Un jour après, un jour sans ou In another country, qu'on adhère ou pas à ces drôles de façons de faire, Hong rendait immédiatement compréhensible le jeu narratif auquel il se livrait (sur le mode, disons Smoking, no smoking que nous connaissons bien). Il semble que le cinéaste en ait eu assez de ces coquetteries formelles "faciles" et veuille aller toujours plus loin dans l'inendification de ses schémas (voilà un néologisme que je revendique, tiens...) en nous égarant toujours plus loin, de moins à moins à portée de ce qu'il y a à voir, et à comprendre.


Paradoxe tout hongsangsooien (voilà un second néologisme, c'est cadeau), ces histoires sont simples comme bonjour. Elles sont parfois toutes bêtes comme dans son précédent La femme qui s'est enfuie mais ces petits détails de rien font que cette simplicité se fait toujours chahuter par des énergies venues d'ailleurs. Introduction c'est, en gros, quelques moments de la vie d'un jeune homme venu rejoindre sa fiancée en Allemagne, de qui il se sépare ensuite, laquelle revient en Corée après un divorce d'avec un époux allemand (qu'on ne voit pas) avec des retrouvailles, -peut-être et c'est sans doute inséré à ce moment-là pour nous induire en erreur - sur une plage où Young-Ho dessaoule après un repas pris avec un ami, sa mère et un vieux comédien qui lui a collé une soufflante parce qu'il avait renoncé à une jeune carrière d'acteur pour des motifs futiles.


Ce qui n'explique en rien à cette scène du début (une visite chez un médecin acupuncteur, agrémentée de liens familiaux incompréhensibles), comme on peut douter de l'importance de la séquence des retrouvailles entre ces deux vieilles amies coréennes en Allemagne.

Au début de sa carrière, on avait parlé de Hong Sang-soo comme d'une sorte de Rohmer un peu trop porté sur le soju (c'est vrai que l'amour a toujours été la grande affaire de son cinéma, et il était alors réputé pour filmer ses acteurs en live et longs plans fixes en les faisant picoler comme des trous) mais cette étiquette s'est décollé au bénéfice d'un statut de cinéaste vraiment à part, qui ne fait rien comme personne, réordonne l'ordre de l'alphabet cinématographique et travaille à se prendre lui-même à contre-pied, en permanence. 

Et ses spectateurs avec.



Rajoutez à cela l'aspect profondément cheap de son film, tourné dans un noir et blanc plus blanc que blanc, Hong à la réalisation, à l'image, à l'écriture, à la musique et au montage, des discussions filmées en pleine rue avec des passants qu'on voit dans les vitres s'arrêter pour observer le tournage, Introduction a quelque chose d'un cul-de-sac où le cinéaste se retrouve à discuter tout seul avec lui-même. Cette discussion doit être passionnante, mais là, on n'a rien entendu.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire