Sur Ken Loach on aura bientôt fini de tout dire, et il n'est pas sûr que le vieux chêne du cinéma britannique en ait encore beaucoup à nous raconter non plus. Tant pis, et même si notre bonhomme a bien voulu annoncer que The old oak serait sans doute son dernier film de fiction, peu attiré par le reste des sorties actuelles je suis allé jeter un oeil à son dernier opus, quand même.
Certainement pas son meilleur film même si le cinéaste nous assène d'entrée quelques leçons de mise-en-scène: son incipit avec ce montage de photographies que Yara est en train de prendre à son arrivée en car, avec d'autres réfugiés syriens, dans ce village perdu quelque part dans les environs de Durham, en est le meilleur exemple. The old oak est donc l'histoire d'une adoption, celle de familles de migrants par une communauté du nord de l'Angleterre abimée par la crise, le genre de celle que Loach a déjà filmé cent fois.
Les yeux encore brouillés par les larmes que le film nous arrache de force lors de ses dix dernières minutes, on en ressort renforcé dans ses propres convictions quant à la nature humaine et vers où le monde se dirige tout droit (dans le mur), et surtout dans celle que le vieux cinéaste n'a pas dévié d'un pouce dans ses principes éthiques. A une journaliste qui lui demandait récemment s'ils commençaient, Paul Laverty et lui, à concevoir ses histoires selon un angle romanesque ou politique, le réalisateur de My name is Joe faillit perdre son sang-froid: mais bon sang, quoi qu'on filme, on en arrive toujours à parler politique !
Loach est fait de ce bois brut dont on ne fait pas les tiroirs Ikea. The old oak confirme tout ce que l'on savait déjà de lui: qu'il n'y a personne pour filmer comme lui des engueulades au pub ainsi que les élans d'empathie dont ses personnages sont bien souvent capables. Avec cette capacité à employer des acteurs non professionnels dont les attitudes ne s'inventent pas dans les cours d'art dramatique (Dave Turner, ancien syndicaliste et ex trimard aux vies multiples ici en patron de pub pouilleux qui accepte d'utiliser son arrière-salle en réfectoire collectif), cet art de faire respirer des rues toutes entières au rythme d'existences délabrées.
Là où on est surpris, et même assez déçu, c'est cette propension soudaine à jouer sur la corde tire-larmes en pinçant très fort dessus: le coup du chien surtout, comme les dix minutes finales (heureusement prolongées par une belle scène de liesse et d'unité) qui nous montre un cinéaste soudain pressé d'émouvoir alors qu'il a toujours su (comme Eastwood, autre vieux cabot cher à nos coeurs), nous faire trembler le menton en un tour de main, avec autrement plus de classe.
Quoi qu'il en soit, et comme c'est sans doute la dernière fois que nous pouvons voir un nouveau Ken Loach, posons-nous cette question, fort simple: qui maintenant pour filmer les restes de la classe ouvrière broyés par le système, qui pour s'acharner encore à nous montrer ses injustices et l'indifférence sans coeur des puissants ? Et je ne parle d'un ou d'une cinéaste qui ferait de temps à autre un film "engagé" sur les gilets jaunes, les centres de rétention ou la main-mise des ultra-riches sur nos existences, mais passerait toute sa carrière de cinéaste à ne filmer que cela ?
Ce que nous raconte The old oak est fort simple; une fois balayés les soupçons, la peur et les préjugés, des misérables décident d'aider des misérables venus d'ailleurs, et cela serait une utopie parfaite et enfin réalisée sans l'intervention de trois connards, pas les moins bruyants (un petit coup sur la gueule des réseaux sociaux en passant, très bien). A deux doigts d'un rêve, pas tout à fait gâché (le film est au fond plutôt optimiste), mais presque...
Ken, vieille tête de mule, tu vas nous manquer.