dimanche 29 octobre 2023

LE REGNE ANIMAL, on est mal.



Dans le premier film de Thomas Cailley, Les combattants, le personnage incarné par Adèle Haenel s'entrainait à survivre à la fin du monde qui selon elle n'allait pas tarder à advenir en éprouvant son corps de jeune femme aux méthodes commando. Voilà un cinéaste qui a de la suite dans les idées, et que l'expérience collective des confinements de 2020 et de la pandémie a apporté de l'eau au moulin de son projet d'écriture: raconter une autre histoire de catastrophe globale en imaginant un monde où une bonne partie de l'humanité se transformerait en bêtes.

De ce postulat fort simple, une belle idée de science-fiction au croisement de la série The leftovers (un dixième de la population s'évapore un beau jour sans crier gare) et de L'ile du docteur Moreau (un devenir-animal possible ici sans même le concours de l'homme) qui n'oublie pas les quelques règles de base de ce genre de film: prendre son sujet au sérieux d'abord, et tout emporter au rythme du grand cinéma d'aventure.

Sur ce deuxième point, Cailley fait le boulot comme un grand. D'emblée, il scinde l'espace en deux entités dissemblables, la société des hommes d'un côté et de la forêt de l'autre, avec entre les deux ce sas impossible qui serait l'espace d'un confinement forcé (les humains en phase de mutation hospitalisés  dans des centres médicaux spécialisés) d'où les créatures sont parquées de force et s'échappent à la moindre occasion. A cet accident de la nature vient s'en ajouter un autre: celui provoqué par une tempête durant laquelle des dizaines de bestioles prennent la clé des champs dont l'épouse de François (Romain Duris, vraiment excellent), qui est en train de se transformer en quelque chose de griffu, de poilu, et d'un peu agressif (elle a attaqué Emile, son propre fils).


Il a surtout l'excellente idée de transplanter le feu de l'action en milieu rural, dans un Sud-ouest qu'il connait bien avec ses fêtes votives, son esprit festif et chasseur où on sait comment traiter les problèmes de nuisible sans faire appel à la maréchaussée. La petite ambiance de chasse à courre dans la dernière partie, juste après un moment assez dur où Emile se fait humilier par un camarade faussement sympathique et joueur, mais vrai tyran harceleur, offre au film son tirant d'adrénaline que les films de genre américains ne savent plus inoculer à leurs grandes scènes d'action depuis longtemps.

C'est drôle, mais les effets spéciaux ont beau être parfois un peu cheap, lors des scènes avec l'homme oiseau notamment, elles émeuvent mille fois plus que les embardées en plein ciel de l'Angel torturé des X-men, autre pauvre petit gars ailé et malaimé qui avait du mal à assumer sa nouvelle nature. Thomas Cailley s'est longuement expliqué sur ce refus obstiné d'avoir recours au tout numérique, et on ne saurait trop l'en remercier: ses bestioles aux nouvelles écailles et aux grotesques tentacules, aux profils simiesques ou aux physionomies impossibles sont mille fois plus frappantes que n'importe quel tour de passe-passe de Dr Strange. 


Il y a quelque chose à palper, à toucher presque, à sentir dans ses corps qui nous rappellent à notre propre condition d'animal, dans un monde tout à coup privé de ses voiles cosmétiques: Emile qui dit à son père qu'il devrait se prendre une douche avant qu'ils ne tombent dans les bras l'un de l'autre, hilares. Emile qui dit à sa petite copine qu'elle "sent bon" justement parce qu'elle n'a pas pris la sienne. François qui dit à son fils qu'il le trouve beau, avec son nouveau profil de jeune prédateur.

Dans Le règne animal, cela sent le fauve peut-être mais cela respire à fond le cinéma très politique. Si l'on pense très fort à la pandémie que tout le monde a subi, on peut aussi penser aux centres de rétention où sont astreints à résidence tous ces migrants qu'on ne saurait voir, aux descentes policières dans les ZAD pour y déloger tous ces punks qui empêchent l'exploitation des espaces naturels et, bien sûr, à notre capacité à devenir autre chose que de simples hommes ou de simples femmes. 


Tout cela fait que Le règne animal possède un sous-texte presque plus rentre-dedans que les brûlots les plus politiques signés John Carpenter ou George A. Romero. Le jeune cinéma français fantastique aime à flirter avec le monde animal depuis un moment (Jacky Caillou, Teddy...) mais on est heureux de le voir travailler aussi fort, et de front, une matière aussi sociétale, tellement d'actualité.


Le film de Thomas Cailley n'est pas parfait, il possède des longueurs, ses moments un peu lourds, mais il faut saluer son aplomb face à un sujet aussi radical, comme ses échappées intrépides où au beau milieu d'une scène d'action presque drôle par exemple (Adèle Exarchopoulos plongeant tel un rugbyman par-dessus un étal de fruits et légumes pour plaquer au sol un jeune fuyard mutant), la course folle s'arrête pour s'attendrir sur un jeune garçon pangolin effrayé, blotti dans un coin, qui s'enroule dans sa carapace. C'est fou comme parfois, un plan suffit à tout dire.

Thomas Cailley a ses obsessions. Il a peur de l'avenir, aime la nature et se méfie des uniformes, c'était déjà dans Les combattants. Tout cela me le rend très sympathique. On espère qu'il saura nous envoyer d'autres fables à l'avenir. Et plus qu'un film tous les 9 ans...



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