dimanche 22 octobre 2023

LE PROCES GOLDMAN, la vérité est ailleurs.


 

On ne l'a pas encore aperçu que, déjà, il casse les pieds à tout le monde. Ses avocats se lisent les lettres que leur client, Pierre Goldman, leur a adressé quelques jours avant le procès en appel qui doit se dérouler à Amiens. Scène magistrale où se dessine déjà toute la duplicité agaçante de ce drôle de personnage qui s'adresse à Georges Kiejman avec un fiel tout orné de précautions oratoires, et déroule au contraire un laïus presque grossier à son endroit dans une autre lettre. Il veut se débarrasser de ses avocats puis se ravise. Kiejman et ses associés vont devoir sauver de la perpétuité un homme aussi intenable qu'une savonnette.  

La difficulté de défendre un accusé pareil, qui refuse de se taire et parait suffisamment sûr de ses talents de bretteur pour en découdre tout seul est partout présente dans Le procès Goldman. Il n'a aucune confiance dans la justice française, il se méfie même de Kiejman qu'il qualifie par ailleurs de "juif de salon", il se dit lésé par les procédures policières, traite le procureur général de larbin fasciste, affirme que la police française est raciste bref, fournit tout l'attirail du parfait gauchiste énervé et sûr de son fait.


Depuis Saint-Omer d'Alice Diop sorti l'an dernier, on assiste à une résurgence du film de prétoire en France, jusqu'au récent Anatomie d'une chute et même le dernier Breillat qui bifurque in extremis avant de s'y embarquer. Cet intérêt soudain pour ces lieux où les vérités se décident et les individus sont décortiqués offrent toujours cette conclusion presque absurde que plus elle est fouillée, plus la réalité nous échappe. 

On connait l'épopée du procès de Pierre Goldman, sorte de pop-star de l'ultra-gauche biberonnée au sein de la révolution cubaine et du printemps de Prague et d'un background familial difficile à assumer pour lui, qui se rêvait en héros de la Révolution alors que ses propres parents, piliers des réseaux de la résistance lyonnaise durant l'occupation en étaient, eux, de véritables. On a fini aussi par cerner ce personnage pétaradant et grossièrement raconté par les médias de l'époque, de gauche comme de droite comme le fruit de son propre imaginaire romantique, malmené par une psychologie pour le moins fragile, qui se rêvait en Che mais fut surtout un braqueur de merceries.


Sans savoir si le film de Cédric Kahn s'adosse correctement à la réalité de ce procès mouvementé, on est tout de même heureux de retrouver en pleine forme un cinéaste qui m' avait quelque peu navré avec son précédent Fête de famille, qui ressemblait en tout point à du Assayas en très petite forme. Le réalisateur de Bar des rails et de Roberto Succo nous revient avec cet oeil incisif et précis qui ici quadrille les possibilités filmiques d'une salle de tribunal, - sans  quasiment jamais en sortir - en s'appuyant surtout sur le jeu tout en contrastes des parties au combat: jeu théâtral et phrasé presque pompier pour la partie civile et l'accusation (Nicolas Briançon et Aurélien Chaussade), parlé direct et parfois faussement hésitant, peu autoritaire, de Kiejman et du juge (Arthur Harari et Stéphan Guérin-Thillier) et, au milieu ou plutôt à l'écart, un Arieh Worthalter extraordinaire en Pierre Goldman tantôt affaissé sur lui-même, tantôt dressé comme un coq de combat. Il faut voir comment le comédien le joue et comment Cédric Kahn le filme: comme un corbeau dans sa cage, jaugeant son auditoire avec ce regard parfois halluciné qui semble tantôt tout comprendre, et parfois rien du tout.



Kahn filme surtout ce tribunal comme une arène aux strates idéologiques bien rangées: les "rouges" derrière Goldman qui applaudissent aux bons mots de l'accusé, souvent très cabot, ses amis antillais au fond de la salle, les représentants de la pj juste devant eux, la famille et les proches au premier rang. Devant aussi, muettes et comme oubliées, les familles des assassinés. Chaque rangée détenant sa propre vérité sur ce drôle de gusse. Il est d'ailleurs curieux que tous les témoins appelés à la barre aient l'air de n'avoir absolument rien vu (certains aveuglés par leur racisme primaire, ou ces policiers perdus dans des procédures qui s'avèrent avoir été bâclées).


Intéressant d'avoir réactivé cette figure d'une autre époque, les années 60/70 où les clivages étaient ailleurs mais pas moins marqués qu'aujourd'hui. Voir Le procès Goldman quelques jours après les exactions du Hamas en Israël, qui ont rappelé même aux Juifs de France qu'il existait encore des gens pour souhaiter leur mort, nous fait mieux comprendre de quoi les obsessions - et la folie sans doute -de Goldman était constituées. D'une peur que celles et ceux qui les avaient pourchassé et contre qui ses parents s'étaient battus étaient toujours là, cachés dans les arcanes de l'Etat, de la justice, de la police, dans l'âme même du Français moyen et que cette peur du Juif traqué, contre qui on pouvait monter n'importe quelle machination, était toujours dans les rouages inconscients du pays. 

Les termes employés par quelques témoins douteux à l'égard de Goldman ("sale crouille", "moricaud") renvoient à d'autres terminologies, plus modernes, qui ne s'adressent plus à la même catégorie de personnes, - le curseur de l'intolérance a bougé, à ces figures de têtes de turcs s'en sont rajoutées d'autres -, mais la mentalité reste la même.


Le film a le mérite de montrer un Pierre Goldman pour le moins équivoque "jouer" avec cette obsession, sachant que son obsession de la persécution comme sa paranoïa surjouée recelait, comme tout paranoïaque le sait bien,  sa part de vérité.  

C'est drôle, mais Cédric Kahn qui me convainquait plus ces derniers temps pour ses talents de comédien que de cinéaste, fait ici appel à un autre cinéaste, Arthur Harari (très bon) pour y jouer un rôle important. Laetitia Masson y a aussi un petit rôle. Son passage de l'autre côté de la caméra lui a apporté une assurance en terme de direction d'acteur ici assez fulgurante: tous les interprètes y sont impeccables, Arieh Worthalter en tête. 

Sans oublier l'immense Jerzy Radziwilowicz, l'ancien comédien fétiche de Wajda, vu aussi chez Godard ou Kieslowski, qui en père de Goldman offre l'intervention la plus bouleversante de ce film de prétoire plus engagé qu'historique... qui nous rappelle surtout que la vérité d'un homme, après Anatomie d'une chute qui ne disait pas autre chose,  n'est pas celle qui se décide en ces endroits solennels (Goldman revint plus tard sur le meurtre de la pharmacie) et que certaines sentences peuvent tomber d'ailleurs (Goldman sera assassiné 3 ans après sa sortie de prison).



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