mardi 10 octobre 2023

L'ETE DERNIER, l'ange exterminé.



 On ne va jamais voir un film de Catherine Breillat la fleur au fusil, en se disant qu'on va passer un bon moment. Malaisant comme disent les djeunes, son cinéma a toujours été constitué de ces petits riens issus de la plus triviale banalité, des petits riens poussés à bout par l'insistance vétilleuse de cette drôle de dame à nous montrer la face sombre de la féminité. Breillat n'a jamais été récupérée par le féminisme moderne, - c'est heureux pour elle - et, irréconciliée pour toujours avec les tenants d'un cinéma naturaliste qu'elle ne fait que mimer et les idéologues qui n'ont jamais su comment la récupérer, il s'agit toujours de bien faire gaffe à ce qu'elle nous montre avant d'en causer.


Signe qui ne trompait pas, au joyeux concert de coincés du cul et du grand écran qui ont encore une fois mitraillé cet Eté dernier, les mêmes se sont adjoint cette fois pas mal de commentaires à chaud qui portaient le film aux nues. A cela une explication sans doute: jamais Breillat n'a aussi bien filmé qu'ici, renforcé par la travail extraordinaire de sa chef-opératrice Jeanne Lapoirie, décisif lorsqu'elle filme les approches collé-serré entre Samuel Kircher et Léa Drucker, qui ont l'air dès leurs premiers plans ensemble de s'effleurer et de se chercher la bouche avec avidité.

Le cinéma de Catherine Breillat s'en retrouve tout changé: robes d'été et baignades au lac, apéros sur la terrasse et farniente dans l'herbe, on n'est plus ici dans la provocation frontale et son insistance à ne nous montrer que du beau cache un vice, bien entendu, qui n'est pas celui qui se retrouve posé là, juste sous nos yeux.


Il s'agit donc de l'histoire de la liaison entre une quadra et son beau-fils qui s'installe chez son père pour la première fois. Maison de campagne, chalet de villégiature, merco décapotable, les deux filles adoptives inscrites au poney et au judo, madame est juge aux affaires familiales et boit du vin blanc, monsieur est dans les affaires, a des déboires avec le fisc et boit du whisky japonais, tout cela est raisonnablement bien friqué et tient la corde niveau bonheur et affections partagées.


On a parlé de Théorème pour parler du dernier Breillat, et il y a effectivement quelque chose de cette figure d'ange exterminateur dans le personnage de Théo (c'est un gosse difficile qui a des comptes à règler avec son père et qui ne fait rien pour être aimé) sauf que les temps ont bien changé et que le monde laissé en cendres après le passage de Terence Stamp chez Pasolini, celui du monde de la grande bourgeoisie révélées à elle-même et détruite par le passage de la passion sexuelle a laissé la place à cette contre-utopie fatale qui ramène tout le monde dans ses pénates, et laissera comme cramé une seule figure, celui qui n'avait rien à foutre là.


Le scénario de L'été dernier et chafouin: il joue du statut et de l'expérience professionnelle d'Anne (formidable Léa Drucker) qui ne cesse d'être confronté au déni et au mensonge dans son travail et sait donc parfaitement comment composer et sauver sa tête lorsque la tempête déboule. Les personnages de la soeur d'Anne (Cotilde Courreau) et du père de Théo (Olivier Rabourdin) ne sont pas mal non plus. C'est comme dans ces romans cruels d'E.M. Forster ou de Thomas Hardy, dans lesquels tous les coups sont permis pour que les plus forts restent à leur place, et les manants tout en bas, quitte à les annihiler.

Ce rapport au romanesque britannique du XIX° siècle n'est d'ailleurs pas fortuit: un dernier coït pour la route dans la réserve à bois au fond du jardin fait irrémédiablement penser à Lawrence, of course, et si l'amant de notre Chatterley est ici le révélateur de la vilenie des chatelains, il en va de même du mari trompé qui dans le roman, impuissant,  encourageait cette liaison, et ici s'efforce de ne plus la considérer puisque source d'ennuis: ce fondu au noir sur la chambre à coucher des époux où n'est plus visible, à la fin, que la lueur d'une alliance en or, et le plus beau paraphe qu'on pouvait apposer à la fin de ce conte immoral..


Catherine Breillat continue donc à briser nos illusions romantiques sur la passion amoureuse ainsi que la justice et le partage des risques en amour. Ne comptez par sur elle pour rassurer ni flatter l'air du temps. Sa ténacité comme son refus d'obtempérer à la gentillesse font de cet ultime conte cruel, sans doute un de ses plus beaux films, une réponse à l'idéologie matérialiste qui domine et ne fait plus semblant de se cacher, un peu partout: du sexe à consommer, de l'argent à engranger ("cette histoire m'a coûté une blinde, souligne d'ailleurs Anne à son beau-fils), une position sociale confortable à sauvegarder coûte que coûte et pour le reste, on s'en fout.

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