samedi 2 septembre 2023

YANNICK, au cinéma ce soir.



Quentin Dupieux est-il le fer de lance d'un renouveau de la comédie française, ou une sorte de jean-foutre qui ne serait jamais sorti de ses potacheries adolescentes ? C'est que son cinéma commence à peser dans l'hexagone, lui qui en est à nous fournir ses deux films par an, dont ce Yannick qui, parait-il  bénéficie d'un bouche à oreille entrainant (dans le petit cinéma art & essai où j'ai mes habitudes, on m'a dit que chaque soir, Dupieux collait une méchante pile à Christopher Nolan).

Je vais éviter ici de trop disséquer son dernier film, pour le moins tordant et charmant, parce qu'il l'a déjà été ailleurs - j'adore ce que fait cet homme, jusqu'à ses pires stupidités, l'adolescent attardé qui bouillonne en moi est comme chez lui dans son cinéma -, mais une chose est sûre: Yannick est peut-être le point de bascule de son style vers autre chose, de peut-être un peu plus grave. 


A vrai dire, il serait temps. Dupieux va peut-être finir par fatiguer ses plus fervents suiveurs s'il continue à opérer sur un mode qu'on a fini par repérer: une "idée à la con" propice à fournir un excellent sketch aux Nuls ou aux Robins des Bois, aucune contrainte sur la forme narrative, sauter à pied joint sur chaque bon gag et, surtout, faire porter tout ça par des comédiens qui n'ont peur de rien.

C'est un fait connu maintenant, l'actorat made in France se bouscule au portillon pour en être. Le réalisateur adore les acteurs, et il faut se souvenir qu'en 2014, il abandonnait Hollywood parce qu'il trouvait que les comédiens américains, même les plus à la marge, avaient du mal à se débarrasser de leur technicité fignolée, au détriment d'une folie d'impro et d'un manque de self-control que son cinéma réclame. 

A l'arrivée, des Blanche Gardin, des Chabat, Poelvoorde ou Dujardin s'y retrouvent comme des canards dans leur mare, des qu'on croyait plus discrets y dévoilent une puissance de feu comique décoiffante (Adèle Exarchopoulos dans Mandibules, Pio Marmaï ici dans un sacré numéro). Qui veut se déguiser en super-héros bleu ? Moi, moi, moi ! Dupieux a réussi un braquage au coeur de l'entreprise cinématographique française qu'on se doit de saluer.


Yannick, c'est donc l'histoire d'un jeune homme un peu tendu qui se fâche devant la nullité de la pièce de boulevard pour laquelle il a sacrifié sa soirée, ses sous et quelques heures de transport. Il prend les acteurs et la salle toute entière en otage avec un flingue et va s'improviser auteur dramatique lui-même.

C'est complètement idiot mais ça passe. C'est même un peu limite (une prise d'otages dans une salle de spectacle parisienne, c'est, euh...), mais ça passe. Une fois qu'on a bien pouffé à certaines lignes de dialogues qui ne s'embarrassent guère de fioritures (il y en a pour trouver Dupieux un peu vulgaire, aussi), la petite mécanique ainsi déréglée va commencer à siffloter sa petite musique qui va nous en dire un peu plus. Sur la tartufferie des comédiens qui savent qu'ils jouent chaque soir quelque chose de nul mais fièrement le nient, sur celle d'un public qui, contrairement à Yannick, ne veut pas voir tout ce temps et cet argent gâchés en une vaine soirée.




Au milieu de ces deux hypocrisies qui se neutralisent, se sourient et s'applaudissent, Yannick n'est pas content. Là où, peut-être, on a vu quelque chose de soudain différent dans un film de Dupieux, c'est dans sa cruauté. A nous montrer ce public docile de moutons à tondre, prêt à obtempérer à tout et, surtout, le visage de Yannick en larmes lorsqu'il entend sa propre "pièce", ses mots à lui, jouée par les comédiens (ce gaillard nous couvait bel et bien une sacrée dépression). Ce grand garçon qui vivote dans un boulot de merde, sait à peine se servir d'un ordinateur, un gueux égaré en terre de "culture", si décevante pour laquelle il a (presque) gâché sa soirée, et qui va se prendre hors-champ les forces de l'ordre sur le coin du nez comme un vrai gilet jaune.


Ce final un peu glaçant et pas du tout drôle pour le coup aura le mérite de nous dévoiler un profil plus dépressif à ce serial-amuseur qui couve certainement, lui aussi, quelques sombres pensées et quelques gouffres sans fond. Il faut se rappeler que les clowns sont souvent les personnes les plus tristes du monde, et ce plan sur les yeux rougis de Raphaël Quenard (excellent, une fois encore), ce visage qui chavire est certainement ce que Dupieux nous a filmé de plus bouleversant depuis ses débuts de cinéaste.

Attendu au tournant, donc, et avec impatience.

1 commentaire:

  1. Bravo pour cette formidable critique. Tout y est dit et super bien dit ! Adhésion totale de la non fan des films de Dupieux !

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