Signe qui ne trompe pas, la sortie en salles d'Anatomie d'une chute aura fait taire d'un coup les polémiques vaseuses, lorsqu'elles n'étaient pas carrément douteuses, autour des propos de la réalisatrice lors de la remise de son prix à Cannes. Car tout le monde s'est retrouvé tout à coup face à un morceau de cinéma, un vrai, à côté duquel ces histoires d'argent public et de réforme des retraites devenaient hors sujet.
La belle et quasi unanimité critique autour du film n'était donc pas en toc: le film reprend à son compte tous les archétypes du "film à procès" pour en faire quelque chose de neuf et nous distiller sa vision du couple à un moment, le nôtre, où les équilibres et les rapports de force homme/femme ont bien changé.
Soit un couple en difficulté, Sandra et Samuel. Elle écrivaine à succès, lui universitaire reconnu avec des aspirations d'écrivain. Elle est Allemande, il est Français et à la maison tout le monde parle anglais. Derrière eux quelques infidélités, le grave accident qui a rendu leur fils unique malvoyant, la dépression de Samuel et ce drame qui va tout enclencher: Samuel s'est jeté de la fenêtre du grenier qu'il était en train d'isoler. Ou bien: quelqu'un l'a frappé et fait tomber du deuxième étage et cette personne, cela ne pouvait être que Sandra.
Le hasard a voulu que je vois Anatomie d'une chute quelques semaines après le dernier film de Nuri Bilge Ceylan, Les herbes sèches, qui m'avait semblé reposer tout entier sur cette part d'incernable que chacun et chacune possédaient sans qu'il soit jamais possible d'en deviner les contours. Il en va de même, au final, pour les personnages du film de Justine Triet, victime, accusés comme témoins: les vies de Sandra et Samuel auront beau être découpées en fines tranches, exposées à la vue de tous jusqu'aux pires impudeurs, leur mystère restera entier, sommeillant dans un hors-champ jamais montré mais que l'imagination de chacun, les parties accusatrices surtout, voudront à tout prix mettre à jour et décréter bien réelles.
Si la décision finale du jury ne pouvait qu'être infléchie par un coup de Jarnac venu de nulle part (le témoignage de Daniel, leur fils, arrivant en toute fin de procès), il est passionnant de voir que c'est l'intuition de l'enfant qui a interprété d'une manière particulière la parole de son père à un moment donné, qui va être préférée à celle de l'accusation qui a voulu rendre de Sandra une image d'épouse égocentrée et violente.
L'avocat général incarné de manière incisive par un excellent Antoine Reinartz (acteur que je trouvais plutôt moyen jusque là) est bien dans son rôle lorsqu'il (se) raconte l'histoire d'une femme quasi manipulatrice, - et c'est là qu'on entre dans une sorte d'emboitage de poupées russes vainement étourdissant - qui se nourrit de sa propre vie, de la vie des autres lorsqu'elle ne pompe pas le travail de son mari pour écrire ses propres romans. Sandra aura expliquer, dépitée, ce qu'est le travail d'écrivain, rien n'y fera: il y a forcément quelque preuve à aller chercher dans l'imaginaire si on n'arrive pas à l'atteindre autrement. Le tribunal ne fera pas autre chose: s'inventer l'histoire la plus crédible, faire appel à son imagination à défaut de posséder des preuves irréfutables de quoi que ce soit.
Moins dans son rôle, et offrant le moment le plus pénible et déroutant de ces moments de prétoire, le témoignage littéralement à charge du psy qui suivait Samuel lors de sa dépression, qui a adopté tous les griefs que Samuel portait à l'égard de son épouse, nous projette d'un coup dans ce que le film arrivait à esquiver jusque là, la guerre des sexes. A cet instant du film, je me suis même demandé s'il était normal que la parole d'un thérapeute aussi partial puisse être entendue à la barre. Le secret médical expire-t-il à la mort du patient ? Ou ne doit-il plus le rester face à un juge ? Moment très dur auquel la défense répond à peine, l' agressivité du thérapeute le desservant d'elle-même.
Je ne sais pas si Anatomie d'une chute est un très grand film, mais il faut saluer de toute façon sa qualité d'écriture extraordinaire, comme sa cohérence avec les films précédents de Justine Triet, eux aussi portraits de femmes au bord de la crise de nerfs mais qui flirtaient aussi bien avec la dépression de leurs personnages qu'avec une légèreté presque comique.
Ici, pas vraiment de quoi rigoler. Quelques grands moments d'émotion (le jeune Milo Machado Graner est assez stupéfiant dans les scènes finales), et une dépression nerveuse qui pour le coup sera plutôt pour monsieur, qui fait écho à la dureté de façade des personnages féminins (Sandra, la juge, l'avocate adjointe, la jeune femme qui veille sur Samuel le temps du procès). Il va falloir s'y faire, messieurs, la solidité n'est plus que masculine.
Comme les personnages incarnés par Laetitia Dosch ou Virginie Efira dans ses films précédents, Sandra Hüller est ici une femme chahutée qui ne sombre jamais, qui ne craque pas ou alors se remet vite. Ce noyau familial persistant qu'elle continue à former avec son fils sera le fin mot de l'histoire: soudés à jamais, encore ensemble par le miracle de ce qui a été, peut-être, un mensonge. La vérité en tous cas, ce n'est sûrement pas la justice qui la fera.
Ajoutons pour finir que la Palm-Dog obtenue par Messi, le border-collie de Daniel, n'a pas été volée non plus.
L'attitude du thérapeute, son parti-pris, s
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